Les Illustrations
Benjamin Rabier (1864-1939)
Né en Vendée à Napoléon-Vendée, future La Roche-sur-Yon, Benjamin Rabier possède des racines berrichonnes du côté paternel. En effet, Benjamin Rabier Père, alias Berry, est né le 9 janvier 1832 à Langé, dans l’Indre. Et ses grands-parents paternels, Angélique et Sulpice Rabier, sont résidents au lieu-dit Narbonne, sur la commune de Jeux-Maloches.
Très doué pour le dessin et la peinture, Benjamin Rabier reçoit, dès 1879-1880, le Prix de dessin de la ville de Paris, prix accompagné d’une bourse qui lui permet de poursuivre ses études à l’école Jean-Baptiste Say, célèbre établissement parisien. Mais ses études représentent rapidement une charge trop lourde pour ses parents, ce qui le contraint à quitter l’école, en 1880, pour gagner sa vie à l’âge de 15 ans. Il effectue alors différents petits boulots avant d’être appelé sous les drapeaux en 1885 et d’intégrer le 33e Régiment d’Infanterie.
Affecté à la surveillance de la bibliothèque de la caserne, il en profite pour combler ses lacunes. La curiosité le pousse également à feuilleter les albums de Daumier, Grandville, Gustave Doré, Henri Monnier et Gavarni dont il essaie de reproduire certains dessins. Parallèlement, il peaufine son trait et imagine ses propres histoires.
À la fin de son service militaire, de retour à Paris, Benjamin Rabier passe un concours d’entrée à la Préfecture de la Seine. Le 9 octobre 1889, il intègre le service des perceptions municipales. Très vite, il demande sa mutation aux Halles de Paris où le travail s’effectue de nuit, ce qui lui laisse le temps de dessiner le jour. Reconnu illustrateur et auteur d’albums destinés à la jeunesse, il devient le père de Tintin-Lutin en 1906, premier succès, avant de s’attaquer aux Fables de La Fontaine.
En 1909, les doubles journées de travail finissent par venir à bout de la résistance du « dessinateur-fonctionnaire ». Il abandonne sa carrière de fonctionnaire, convaincu qu’il a désormais atteint une situation sociale et financière lui permettant de ne plus dépendre d’un emploi salarié. À 45 ans, il entame une nouvelle existence, tournée exclusivement vers l’illustration.
La Wachkyrie
Très attaché à ses racines, même si la vie le conduit à Paris où il va passer une grande partie de son enfance et de sa vie professionnelle, il revient très régulièrement dans l'Indre où il trouve calme et inspiration, notamment dans sa maison de Lye. C’est dans cette bourgade, où il se trouve en famille, que Benjamin Rabier apprend la déclaration de la guerre au début août 1914. La nouvelle le bouleverse et les souffrances endurées en 1870 le hantent de nouveau.
Non mobilisable, Benjamin Rabier participe à l'effort de guerre avec ses animaux dont l'humour et la débrouillardise sont une belle démonstration de l'antigermanisme ambiant.
Sa première contribution se fait très tôt. Dès 1915, la guerre traîne en longueur et pour remonter le moral des troupes, l’Etat-major du train décide de doter chaque unité d’un emblème humoristique spécifique qui sera apposé sur tous les véhicules. Un concours est alors lancé auquel participe Benjamin Rabier. C’est ainsi qu’il donne vie, vers 1915, à la Wachkyrie, une vache hilare, emblème apposé sur les camions du service de ravitaillement en viande fraîche de l’armée, personnage qui sera repris par Léon Bel pour devenir La Vache qui rit que nous connaissons aujourd’hui.
Pendant toute la période de la guerre, Benjamin Rabier ne crée qu'un seul album. Flambeau chien de guerre voit le jour en 1916. Sous forme d'une bande dessinée, cet album raconte, aux enfants, les aventures d'un chien de ferme, Flambeau, qui, par fidélité à son maître appelé à la guerre, devient « chien de guerre ».
Flambeau, chien de guerre (1916)Aîné d'une portée de 7 chiots, Flambeau est un pauvre chien, pas très beau, un bâtard mal-aimé. Très tôt donné aux Mousseron, les propriétaires de la ferme voisine, il doit quitter les siens pour une nouvelle maison où il est rejeté par les animaux. Mais bientôt la guerre éclate. Flambeau décide alors de s’engager dans l’armée comme chien de guerre. Malheureusement, n’étant pas un chien de race, sa candidature est rejetée par la Commission d’engagement militaire. Cette décision ne l’arrête pas et il décide de s’engager lui-même.
Tel un véritable soldat, Flambeau vit aux rythme des poilus, va sur le front, connaît les tranchées, transmet des rapports, est blessé, tire au canon, libère des prisonniers... et accomplit toutes sortes d'actes héroïques contre le barbare ennemi germanique régulièrement ridiculisé. L'album s'achève par le retour des Poilus. La guerre de Flambeau est finie mais pas celle des hommes puisque nous ne sommes qu'en 1916.
Pas très beau, de condition modeste, mal-aimé, pas très cultivé mais honnête, Flambeau est le symbole du poilu de base. C'est dans cette imperfection que s'affirme son humanité et qu’il devient Monsieur tout le monde.
À circonstances exceptionnelles, album exceptionnel ! Paru en 1916 aux Éditions Tallandier, à une période de la guerre où la propagande "anti-Boches" se déchaîne, Flambeau chien de guerre est une leçon de patriotisme exaltant le sens du sacrifice dans laquelle l’ennemi est constamment ridiculisé. Mais c’est avant tout un album d’une très grande qualité d’exécution. Le choix du format à l’italienne permet à Benjamin Rabier de juxtaposer deux planches en pleine page pour n’en former plus qu’une.
Planches de Flambeau, chien de guerre
Autre qualité de l’ouvrage : l’enchaînement des séquences, presque cinématographique, ce qui n’est pas un hasard puisque c’est avec Flambeau que Benjamin Rabier se lance avec son complice Émile Cohl, puis seul, dans l’aventure du dessin animé. Flambeau devient héros de cinéma à partir de 1917. Ses aventures se déclinent sous divers titres : Les fiançailles de Flambeau (1917), Clémentine et Flambeau (1917), Flambeau au pays des surprises (1919), La journée de Flambeau (1919), Les 400 coups de Flambeau (1919), Les malheurs de Flambeau (1923).
Outre cet album, Benjamin Rabier publie dans différents journaux satiriques tels que La Baïonnette, L’Anti-Boche, L’Echo des marmites, Le Bulletin des Armées de la République, Diabolo Journal, Excelsior, Le Pêle-Mêle.
Le Pêle-Mêle n°38
du 17 septembre 1916
La Baïonnette n°68
du 19 octobre 1916
L'Anti-Boche n° 19 du 26 juin 1915
Fondé par Fred Isly, Le Pêle-Mêle est un journal qui se veut sur tout et pour tous, dont le premier numéro paraît le 28 septembre 1895. Benjamin Rabier y livre un dessin par semaine : de 1896 à 1919, il en donnera plus d’un millier. Beaucoup feront la couverture du journal. Il s'attachera durant le conflit à caricaturer la vie de l'arrière du Front. Avec Au diapason, Une du Pêle-Mêle n°38 du 17 septembre 1916, Benjamin Rabier croque un épicier devant une grosse motte de beurre, dans sa boutique, tenant un bout de fil de fer barbelé, à qui s'adresse une bonne accompagnée d'un chien - ressemblant étrangement à Flambeau - pour lui demander : « En voilà, une façon de couper le beurre ? ». Réponse de l'épicier : « Depuis le commencement de la guerre, je n'emploie que du fil barbelé ! ».
Hebdomadaire satirique français paru de 1915 à 1920, La Baïonnette offre également sa une à Benjamin Rabier. Fondé par le caricaturiste Henri Henriot, collaborateur de L'Illustration, le journal, dont le nom fait référence à la petite épée qui s’adapte au bout des fusils des Poilus français, aime se moquer de « la bêtise allemande » et tourner en ridicule Guillaume II. Rabier y retrouve son ami Charles Léandre qui lui aussi collabore à l’hebdomadaire.
Le 19 octobre 1916, à la une du n° 68, apparaît un lapin apeuré, n'osant pas sortir de son terrier, et la mention « La chasse est fermée », allusion à la Bataille de la Somme et à la virulence des combats.
Même chose pour L’Anti-Boche dont Benjamin Rabier devient un des illustrateurs attitrés. Organe hebdomadaire des Poilus, dirigé par Henri Dauvin, cet hebdomadaire illustré, paraissant le samedi au prix de 15 centimes, publie un certain nombre de dessins de Benjamin Rabier. Le 26 juin 1915, il en illustre la couverture : on y voit un officier allemand - reconnaissable à son casque à pointe et à son sabre - interrogeant une mère portant un bébé dans ses bras et lui demandant « Lequel de vous a crié Vive la France ? »
Autre support de propagande pour Benjamin Rabier : la carte postale. Deux d'entre elles remportent un franc succès.
Cocorico ! (1915), carte postale illustrée par Benjamin Rabier
L'Obus de 420, carte postale illustrée par Benjamin Rabier
1915 Cocorico !...
Cette carte postale reflète l'optimisme régnant au début du conflit. Là aussi les animaux parodient les hommes et les grandes puissances s'opposant depuis 1914. Grâce à ses alliés - le Royaume Uni (le léopard) et la Russie (l'ours) - , la France (le coq) peut lancer son chant de victoire sous un soleil radieux en enserrant le cou de l'aigle germanique reconnaissable à son casque à pointe...
L'obus du 420 : le lapin de l'Argonne...
« Zut ! La chasse est ouverte » fait référence aux combats de l'Argonne. L'expression de surprise du lapin innocent sagement tapi dans son terrier évoque à l'évidence l'agression de la France par l'Allemagne, symbolisé par l'obus de 420 qui éclate à proximité. Cet obus de 420 fait également référence à la Grosse Bertha, célèbre pièce d'artillerie utilisée par l'armée allemande dès 1914. Quant aux comportements des deux lapins de la scène, l'un se terre, surpris par l'attaque, tandis que le second prend la fuite.
Enfin, un autre document illustré par Benjamin Rabier mérite d'être évoqué. Il s'agit d'une carte satirique publiée par les Imprimeries Grandremy intitulée La transformation des Boches en 52 tableaux, qui par un habile jeu de découpe et de pliage permet de voir l'ennemi sous 52 facettes différentes.
Pendant toute la durée du conflit, Benjamin Rabier reste à Paris pour son travail tandis que Sophie et les enfants passent plusieurs mois à Lye où il les sait en sécurité et à l’abri de la pénurie alimentaire. C’est lors de l’un de ces séjours que son fils Benjamin décède en 1917.
La transformation des Boches en 52 tableaux
Bernard Naudin (1876-1946)
Bernard Naudin est issu d'une famille d'horlogers et d'antiquaires de Châteauroux. Il travaille à 15 ans à la revue littéraire de Jean Baffier Le réveil de la Gaule. Il illustre ensuite son premier ouvrage, L'Amour au village, scènes de moeurs berrichonnes.
En 1893, il réside à Paris et il propose des cours de dessin à l'Académie Colarossi où il devient ensuite professeur.
En 1914, il devient illustrateur de guerre pour L'Horizon et Le Poilu.
Incorporé le 6 août 1914 à la 2e Compagnie du 65e Régiment Territorial d'Infanterie formé à Châteauroux, Bernard Naudin devient très vite illustrateur de guerre.
Bernard Naudin participe activement à la guerre. Du fonds des tranchées, des casemates ou des routes de l’arrière, il dessine et crayonne à la hâte et fige dans sa mémoire des personnages ou des saynètes aperçues au front, et toutes sortes d’éléments qui constituent un témoignage très émouvant du destin des soldats de la première Guerre Mondiale.
Croquis de campagne (1915)C’est ainsi que paraissent Croquis de Campagne de Bernard Naudin 1914-1915 aux Editions R. Helleu en 1915, recueil contenant une suite de lithographies d’après ses carnets de guerre, présentés sous une jaquette bleu horizon, rappelant la couleur des uniformes des soldats français. Ce recueil s’ouvre sur un touchant portrait à la mémoire d'André Peignot.
Le 16 août 14, Bernard Naudin est nommé Caporal, avant de partir avec son régiment vers le front de l'Aisne et vivre la Bataille de la Marne. C'est au cours de celle-ci que son ami André Peignot, devenu Capitaine, est tué par l'ennemi le 25 septembre 1914.
Éditeur d'art, André Peignot est un des fils de Gustave Peignot, fondateur de Fonderie Peignot, fleuron de la typographie française, principal employeur de Bernard Naudin.
Après un passage dans l'armée coloniale, André Peignot revient travailler dans l'entreprise familiale et commence une carrière dans l'édition d'art. C'est dans ce cadre qu'il se lie d'amitié avec Naudin et qu'il publie un certain nombre de livres illustrés par ce dernier. Il lui demande également de dessiner un caractère d'imprimerie. Le Naudin, stylisation de l'écriture de l'illustrateur berrichon, voit donc le jour en 1914 mais il ne sera commercialisé qu'après la guerre, en 1924. Malheureusement, il n'aura jamais le succès espéré.
Le Naudin André Peignot ne sera pas la seule victime de la famille tombée sur le champ de batailles. Après le décès de Robert en 1913, ses trois autres frères perdront la vie pendant le conflit :
Rémy, artiste peintre, le 15 mai 1915 à Carenay (Pas de Calais).Georges et Lucien, qui travaillent à la fonderie familiale, les 28 septembre 1915 et 29 juin 1916.
Aujourd’hui, la Ville de Paris honore la mémoire des quatre frères Peignot dans le XVe arrondissement. Un reliquaire des Frères Peignot, présenté au Musée de La Légion d’Honneur, symbolise également le sacrifice de la famille. Véritable monument aux morts familial, commandé par leur sœur, Jane Tuleu, ce meuble qui s’ouvre sur une croix de guerre, rappelle les faits d’armes des disparus :
Reliquaire Peig« André PEIGNOT, capitaine au 43e RIC, à l'ordre de l"Armée :
A été tué le 25 7bre d'une balle au coeur en chargeant à la tête de sa compagnie, pour enlever un point important. »
« Rémi PEIGNOT, maréchal des logis au 57e RA, à l'ordre du Corps d'Armée :
Doué des plus belles qualités de bravoure, est tombé au champ d'honneur en accomplissant sa périlleuse mission d'observateur auprès de l'infanterie. »
« Georges PEIGNOT, adjudant au 43e RIC, à l'ordre de la Division :
Pour prendre la place de ses deux frères, s'est engagé pour la durée de la guerre. A été tué glorieusement en conduisant sa section à l'attaque des tranchées allemandes. »
« Lucien PEIGNOT, lieutenant au 57e RA, à l'ordre du Corps d'Armée :
A fait preuve d'initiative et d'énergie le 14 et 15 7bre 1914 devant Minaucourt. A pris une part considérable à l'organisation et à la mise en œuvre des procédés de détermination des batteries allemandes. »
Après la guerre et la disparition des cinq frères, l’entreprise familiale continua ses activités en s’associant à une autre fonderie, la fonderie Deberny avec qui Naudin continua de collaborer en tant de créateur de vignettes et d’ornements.
Autre document exceptionnel illustré par Bernard Naudin, le faire-part de naissance de Philippine Puaux, née en plein confit le 10 juillet 1916 à Paris.
Faire-part de naissance de Philippine Puaux
Texte intérieur du faire-part de Philippine Puaux
On y voit un bébé dans les bras d’une Marianne habillée en poilu, tenant à bout de bras un rameau d’olivier ; en arrière-fond, un drapeau et un tambour en-dessous duquel on peut lire : « À mon vieil ami René », signé « Naudin ».
La réalisation de ce faire-part n’est pas un hasard puisque Bernard Naudin est un proche de René Paux, le père du bébé. Journaliste, homme de lettres, poète et historien, René Puaux est « le chevalier servant de toutes les causes dont le malheur fait la beauté » (Joseph Coudurier de chassaigne in L’Illustration, 16 janvier 1937).
Secrétaire de rédaction de la Revue Hebdomadaire, puis correspondant à Londres du journal Le temps, il se retrouve lieutenant attaché aux services du Maréchal Foch pendant la Grande Guerre. Il publie également une série d’ouvrages sur le conflit : L’armée anglaise sur le continent ; La course à la mer ; La bataille des Flandres et enfin Le mensonge du 3 août 1914 dont un exemplaire est présent dans nos collections.
Pour la petite histoire... Philippine s’éteindra en octobre 2010, à l’âge de 94 ans, après une longue carrière d’infirmière.
Le Mensonge du 3 août 1914 (1917)