En 2011 le monde littéraire anglo-saxon était en effervescence ! Un roman « extrêmement » osé venait d'être publié par une auteure anglaise jusqu'alors inconnue, L. James. Cinquante nuances de Grey (en version originale :Fifty shades of Grey) était né, et avec lui une vague de succès... presque international.
Tropiques du Cancer et du Capricorne de Henry Miller ne choquent plus ! Ils sont même étudiés à l'université.
Je dis presque parce que sur le vieux continent, on en a vu d'autres, et des bien meilleurs, et des plus piquants ! Je dis presque parce que même dans les milieux éduqués américains, il y a belle lurette que lesL'amant de Lady Chatterley pour la romance, et qui ne peut même pas prétendre se mesurer à l’œuvre sadienne pour les parties érotico-sado-masochistes ? Pourquoi, alors que Alain Robbe-Grillet a déjà largement épuisé le sujet des rapports de dominations masochistes dans son œuvre romanesque, et plus particulièrement dans Le roman sentimental, ce renouveau de l’intérêt populaire pour une histoire largement inspirée de la littérature vampirique pour adolescents ? Peut-être justement parce que les vampires sont devenus bien trop mous au goût des lecteurs, et que Dracula et Lestat le vampire, symboles sexuels et sexués par excellence ne sont pas loin de se retourner dans leur cercueil quand ils constatent que leur descendance littéraire est si prude et si réticente à pousser la jeune fille en fleur à la bagatelle !
Alors pourquoi ce soudain emballement pour un ouvrage soi-disant sulfureux, mais qui n'est jamais qu'une pâle copie de- De la liberté de forniquer à la liberté de penser
- Les conquérants de la provocation
- Après la guerre c'est la révolution !
- De nos jours on ne choque plus personne... ah bon ?
- Quand on conclut en romance, c'est en fait le début de tout !
De la liberté de forniquer à la liberté de penser
Justine subit les premiers et les derniers outrages, ce n'est pas que pour le plaisir du lecteur, mais pour celui de disposer de son corps comme elle l'entend, et obtenir la liberté de penser différemment, de remettre en cause les assertions de la noblesse et du clergé, bref de réfléchir par elle-même.
Si au 18e siècle, Sade est ce qui se fait de plus transgressif en matière de littérature érotique, il faut se remettre dans le contexte de l'époque avant de juger son œuvre. Les mœurs étant beaucoup plus libérées, la littérature, pour avoir du succès, se devait d'être... beaucoup plus scandaleuse. Sade avait compris que pour faire parler de lui, il fallait taper fort. En criant au scandale à propos de ses contes libertins, on le mettait sur le devant de la scène, et on analysait sa pensée. Car derrière la fessée et les parties plus très fines, se cachaient une ode à la liberté. SiLe roman libertin est d'ailleurs très rapidement utilisé pour critiquer de façon dissimulée les souverains en place. Denis Diderot commet avec Les bijoux indiscrets une critique vive et satirique de Louis XV. Et même le prude Rousseau a éveillé le vif intérêt des libertins de tout poil à la publication de La nouvelle Héloïse.
Les conquérants de la provocation
Après un début de 19e siècle long et puritain, les auteurs déjà renommés sont de plus en plus nombreux à faire dans la provocation gratuite, racontant en vers et en prose, leurs prouesses sexuelles.
Verlaine racontera par le menu ses frasques avec des hommes dans son recueil Hombres et avec les femmes dans son recueil éponyme Femmes dans un souci bien plus provocateur que poétique.
Rimbaud et Baudelaire décriront en long, en large et en travers, de manière plus ou moins crue, la langueur des femmes, qu'elles soient bourgeoises ou putains, et la lubricité des hommes.
Un peu plus tard, c'est un Guillaume Apollinaire qui après s'être fait un début de renommée avec sa poésie, se lance guillerettement dans la prose en publiant presque coup sur coup 3 romans : Mirely ou le Petit Trou pas cher, Les onze mille verges et Les exploits d'un jeune Don Juan, les 2 premiers étant franchement pornographiques. Son œuvre érotique a largement inspiré les illustrateurs de tout style, comme en témoigne cette page regroupant les dessins des plus grands noms de la bande dessinée.
Pour se libérer de son carcan judéo-chrétien, attisé par sa jalousie, James Joyce écrit au début du 20e siècle des lettres enflammées à sa femme Nora. Elles mettront d'ailleurs le feu au poudre de la descendance des Joyce au moment de leur publication.
C'est sous un pseudonyme que Georges Bataille publie en 1928 son Histoire de l’œil dont les héros, à la perversité grandissante et obsessionnelle termineront leur périple sadique dans la morbidité la plus totale. Cet œil est d'ailleurs très en vue dans les années 20 puisque c'est à cette époque que paraît, si j'ose m'exprimer ainsi, Le con d'Irène du jeune Albert de Routisie, plus connu sous le nom de Louis Aragon.
Après la guerre c'est la révolution !
En 1947, Jean Genet livre au monde littéraire un roman aussi érotique qu'envoûtant : Querelle de Brest. Érotique parce que l'acte sexuel y est bien plus souvent fantasmé que réalisé, et envoûtant parce que le personnage principal, bien qu'hétérosexuel, ne couche pratiquement qu'avec des hommes sans qu'on comprenne vraiment pourquoi, alors que la psychologie de ce personnage est un des piliers de l'histoire.
En 1950, Henry Miller, cité plus haut, et Anais Nin écrivent de concert des récits érotiques. C'est ainsi que nait Vénus erotica aussi talentueux que secret puisque ce texte restera en sommeil de longues années avant sa publication.
Les femmes ne sont donc pas en reste pour s'affranchir des règles de la bienséance, puisqu'après Anaïs Nin, c'est Pauline Réage qui se lance en 1954, anonymement, avec le très célèbre Histoire d'O, adapté au cinéma, et qui reste, plus de 50 ans après sa parution, une référence en littérature érotique.
Dans les années 80, le roman autobiographique érotique est à la mode. En France, son chantre est Renaud Camus, qui publiera presque une dizaine de volumes auto-centrés, dont le plus connu est aussi le plus salace : Tricks.
Charles Bukowski n'est pas en reste et sous couvert d'une vie à la dure durant la Grande Dépression aux Etats-Unis ses Souvenirs d'un pas grand chose font preuve de peu de retenue quand il s'agit de ses exploits horizontaux.
De nos jours on ne choque plus personne... ah bon ?
On pourrait penser qu'en cette fin de 20e et ce début de 21e, totalement blasés par des siècles de gaudriole prosaïque, nous restions de marbre face aux provocations sexuées des auteurs contemporains.
Mais c'est sans compter sur l'inventivité de ces derniers, qui ont bien compris que pour exister dans ce registre, il fallait franchir les dernières barrières de la pornographie, et mettre en scène inceste et autre viol, comme des choses les plus naturelles du monde. Virginie Despentes fait d'ailleurs de la violence récurrente son fonds de commerce. De Les jolies choses à Baise-moi elle pousse le lecteur dans les derniers retranchements de ses personnages.
Anne Serre, plus récemment, met carrément en scène les enfants de l'héroïne de Petite table, sois mise dans des scènes incestueuses et pédo-pornographiques. Ouvrage dérangeant à coté duquel Le festin nu et Les garçons sauvages de William Burroughs font presque pâle figure.
Lourdes lentes nous enveloppe et nous transcende, oscillant entre vulgarité et poésie onirique pour cette découverte de l'univers charnel d'un enfant de 12 ans avec la bonne de la maison.
Quant à André Hardellet, c'est presque une mélopée humide qui tout au long des pages deQuand on conclut en romance, c'est en fait le début de tout !
Les romanciers n'auront jamais fini de nous surprendre et de nous émoustiller.
Qu'il nous entraîne dans des aventures tropicales avec Pornographia, ou dans les pas d'Angélique, marquise des anges avec Une éducation libertine, Jean-Baptiste Del Amo sait tenir son lecteur en haleine. Et tout comme Louis Calaferte avec La mécanique des femmes, il sait conserver une écriture plus littéraire que populaire, style plus prisé ces derniers temps par les auteurs à la mode.
On en trouve donc pour tous les goûts, même si une écriture châtiée se mariera mieux avec une aventure plus sentimentale quand la crudité sera mise en valeur par un style plus facile. Bien qu'il ne soit pas forcément aisé de raconter l'histoire d'une fille facile.
On croit avoir tout vu, tout lu, et pourtant la magie opère encore, quand un nouvel auteur fait un coup d'éclat, ou qu'un romancier bien connu réalise un coup de maître. On se délecte encore des aventures polissonnes, même si bien souvent on met en avant la qualité littéraire du roman, ou la curiosité suscitée par des critiques et des polémiques dans la presse ! Ce qui compte c'est que chacun y trouve son compte, puisque l'avantage de la fiction par rapport à la réalité c'est que tout y est permis !