Soyons clairs : à la Renaissance comme partout et en tous temps, seuls les riches se préoccupent de saveurs et de bonnes manières. Les pauvres, c’est-à-dire presque tout le monde, mangent. Ils se préoccupent de survie. Il ne sera donc ici question que d’usages de princes, de princesses et pour tout dire de happy few !
La cuisine
L’usage des rois
Comme dans tous les arts de la Renaissance, l’influence majeure est celle de l’Italie qui importe pâtisseries et manières de tables grâce aux guerres (François Ier) et aux mariages (Catherine de Médicis). Les produits nouveaux (fruits et légumes) sont arrivés la plupart du temps depuis l’Espagne musulmane : l’Italie sert de caisse de résonnance à l’Orient en Europe du Nord, particulièrement en France dont le raffinement de la cour devient un modèle au 16e siècle. La cour rayonne à l’extérieur des frontières du pays grâce aux voyages diplomatiques et à l’intérieur par son itinérance. Henri III, fils de Catherine et petit-fils de François, fixe l’étiquette qui fait du raffinement un protocole.
Ouvrages culinaires : importance de l’imprimerie
Charles V commande au premier maitre-queue de l’histoire un ouvrage qui diffuse le prestige de sa cour : c’est le Viandier de Taillevent, premier livre de cuisine de référence. Le Traité des confitures de Nostradamus est quant à lui un best-seller avec neuf rééditions de 1555 à 1572. Ses recettes ont toujours cours de nos jours.
Les saveurs
Le sucré écrase les 3 autres saveurs (amer, acide, salé) et l’homme de la Renaissance expérimente avec bonheur l’aigre-doux, mélange de sec/froid et de chaud/humide (depuis l’Antiquité, le monde est défini par les quatre sensations : chaud, froid, sec, humide). Ceci grâce à un usage renouvelé des condiments.
Épices
Le prix des épices chute car de nouvelles voies maritimes sont ouvertes à la faveur des grandes découvertes. Elles sont utilisées à des fins gustatives, certes, mais aussi thérapeutiques et décoratives. Leur usage est cependant beaucoup plus nuancé qu’au Moyen Âge. Les saveurs les plus en vogue sont celles de la cannelle et du poivre.
Herbes
Cultivées sur place, les aromatiques sont bon marché. Comme pour les épices, leur utilité est aussi utilitaire qu’esthétique. Quant aux goûts, ce sont ceux de la marjolaine et de la menthe qui sont privilégiés.
Les nouveautés
Fruits et légumes
Catherine de Médicis inspire un intérêt inédit pour les fruits et légumes, méprisés jusqu’alors car ils poussent dans la terre, à l’opposé des Cieux. Les trois A (Asperge, Artichaut, Aubergine) arrivent tous de la culture arabe via l’Espagne puis l’Italie. Catherine de Médicis mangeait des artichauts jusqu’à l’indigestion. Le melon est le fruit le plus prisé de l’époque, lui aussi importé d’Orient par les italiens.
Magie du sucre
La Reconquista (reconquête de l’Espagne par les Chrétiens) concomitante avec la découverte de l’Amérique permet la réalisation des recettes arabes grâce à l’apport massif de sucre de canne importé du Nouveau Monde. Les pains de sucre remplacent rapidement les pots de miel sur les tables. Utilisé d’abord comme médicament, son usage connaît bientôt un engouement considérable : invention des confitures (Nostradamus leur consacre un ouvrage entier de recettes dont une dizaine à la seule pâte de coing), fruits confits, fleurs cristallisées, décorations, sculptures… Tout est sucre, tout est sucré : des statues aux serviettes, des plats aux lustres… tout se mange !
Progression du beurre
Présenté en motte sur la table, son usage supplante celui de l’huile, plus chère, à une époque ou l’influence des interdits de l’Église faiblit grâce à la Réforme : moins de jeûne, plus de beurre ! Et donc moins de morts liées aux carences alimentaires.
Début des pâtes
Inventées en Mésopotamie (Irak), elles sont déjà répertoriées à Rome au 4e siècle avant JC, mais c’est à la Renaissance que les recettes se multiplient suite à une hausse de la demande due à l’augmentation des échanges inter-méditerranéens : gnocchis, macaronis, rapioulles restent cependant marginaux en France.
Les boissons
Le vin voyage mal, se conserve peu : on le boit coupé d’eau, froid (« à la glace ») afin d’en atténuer l’aigreur ou la verdeur. Mais les palais en goûtent cependant les saveurs, délaissant hypocras, hydromel, bière et vins sucrés, dans la mesure où il est cultivé à proximité : les rois français boivent les vins de Loire (à chaque château son vignoble), les Anglais privilégient leurs terroirs, Bourgogne et Bordeaux, et affinent les techniques d’élevage.
Les Arts de la table
Le mobilier
Comme son nom l’indique, le meuble est conçu pour être déplacé : il est « mobile ». Les seigneurs, à l’image de leur souverain, voyagent avec lui : la table est une planche que l’on pose sur des tréteaux dressés à chaque étape (« dresser la table ») entre deux bancs (qui permettent au groupe des courtisans de « banqueter »)…
La vaisselle
Trois types de vaisselle définis par leur usage cohabitent :
La vaisselle d’office reste… à l’office. Simple, elle est utilisée en cuisine.
La vaisselle de table ou de dignité est utilisée en salle. Elle connaît des évolutions notables à la Renaissance, ne serait-ce que l’apparition du mot « vaisselle », inspiré par le « vaisseau » ou « nef », qui trône devant l’hôte ou l’invité de marque. Pièce de grande valeur en forme de navire, il renferme les couverts et les épices dans sa coque fermée à clef, allusion directe à la fascination exercée par les grandes expéditions maritimes de l’époque (Christophe Colomb, Magellan, Vasco de Gama…). Lors du mariage de François Ier et Claude de France en 1514, l’assiette remplace pour la première fois le tranchoir (planche en bois sur laquelle était posée une tranche de pain rassis – la soupe - chargée d’absorber la sauce ou le bouillon – d’où l’expression « trempé comme une soupe »).
La vaisselle d’apparat reste dans le vaisselier, à la vue de tous. Luxueuse, elle porte les armoiries de l’hôte et le verre à pied en verre y fait son apparition bien avant que l’usage du gobelet décline.
Couverts et linge de table
Ostensibles et précieux, cuillère et couteau sont personnels et utilisés uniquement pour se servir dans le plat : on continue à manger avec les doigts, d’autant que la fourchette, dont on dit que c’est Catherine de Médicis qui l’importa en France, est rapidement interdite par l’Église sous prétexte qu’elle favoriserait la gourmandise, pécher capital.
La serviette de table est inventée, rendue indispensable par l’usage de la fraise sensée protéger le visage des miasmes du bas du corps. Parfumée à la rose, son problème est son envergure : trop large, ses utilisateurs ont bien du mal à « joindre les deux bouts » (sic) et sont contraints de poser leur serviette sur leur épaule ou sur le bras.
Les bonnes manières
Avant la Renaissance, les enfants étaient considérés au mieux comme de petits animaux, l’Humanisme leur rend leur condition d’êtres doués d’une raison qu’il convient d’éduquer : Rabelais le rappelle dans Gargantua, Erasme le théorise dans Éloge de la folie et Montaigne le met en pratique dans ses Essais.
La civilité, mélange de courtoisie et de règles indispensables à la vie en bons termes au sein d’une communauté, est une qualité intrinsèque de l’humaniste. À table, il s’agit également de faire preuve d’un raffinement soulignant la séparation des conditions animale et humaine. L'élégance doit donc être enseignée aux hommes en devenir et l’imprimerie permet d’en fixer les codes : « Tiens-toi droit », « Romps le pain », « Ne pose pas tes coudes sur la table », « Ne te jette pas sur la nourriture », « Mâche la bouche fermée », « Ne lèche pas ton assiette »…
Pour retrouver les bonnes tables et le cahier de recettes de la Renaissance, rendez-vous sur le site de Clodelle.