Rappelez-vous : en décembre 2015, les bibliothèques de Châteauroux vous invitaient à un hiver nordique... Pour renouer avec les auteurs venus du froid ou (re)découvrir de bons romans à lire au coin du feu, feuilletez ce dossier !
Des grands espaces sauvages qui les entourent à la mélancolie qui serait un de leurs traits, les Nordiques baignent dans un terreau idéal pour une littérature désenchantée à laquelle répond une liberté parfois subversive, souvent loufoque.
Peut-on cependant parler de littérature « nordique » ? S'il existe une communauté historique, culturelle, voire sentimentale nordique, la scène littéraire est éclatée, ce qui rend compte d'une belle vivacité.
Sommaire :
- Au départ
- Sagas ?
- Mais alors pourquoi « littérature nordique » ?
- Pas facile de situer la littérature nordique...
- Racontars... ?
- Gaïa !
- Lectures
Au départ
La scène nordique se distingue par la présence écrasante de quelques grands noms qui ont depuis longtemps essaimé au-delà des frontières : August Stringberg en Suède, Henrik Ibsen en Norvège et Hans Christian Andersen au Danemark. Plus anciennes, fondatrices, les sagas d'Islande, terre du Prix Nobel Halldór Laxness.
Sagas ?
« Au 12e siècle, l'Islande sombre dans le chaos, avec un paradoxe : au moment où l'île vit ses heures les plus sombres, certains de ses habitants créent un genre littéraire inédit, d'une qualité extraordinaire. C'est "l'âge d'or" islandais, intellectuellement parlant. Les Sagas s'imposent aujourd'hui, pour les spécialistes, comme le fleuron de la littérature médiévale. »
« Le mot Saga est dérivé du verbe Segja, parler, raconter. Ce sont des récits en prose, plus ou moins historiques. L'auteur raconte un pan de la vie d'un Islandais, soit pour rapporter des événements, soit pour les embellir, les deux n'étant pas incompatibles. Sagas légendaires, sagas héroïques ou sagas familiales, le but premier est le divertissement.
Les Sagas ont été écrites environ 250 ans après l'époque qu'elles relatent. Elles sont donc influencées par la culture et la religion de l'époque. Certains les accusent de mensonges et de plagiats, notamment bibliques. Malgré cela, elles restent des documents historiques primordiaux sur la vie quotidienne, la culture et la civilisation médiévale islandaise. »
Mais alors pourquoi « littérature nordique » ?
Parce que les auteurs nordiques s'inspirent mutuellement grâce à la proximité de leurs langues (mis à part le Finnois) et bénéficient tous de la caisse de résonance que représente le Prix de littérature du Conseil nordique. De nombreux écrivains devenus familiers des lecteurs français ont été récompensés par ce prix (Sofi Oksanen, Per Petterson, Sjón, Enquist, Lagercrantz, Vesaas…).
En outre, quand un écrivain local perce, il entraîne à sa suite d'autres auteurs, comme l'a fait en 1995 le Norvégien Jostein Gaarder : les éditeurs norvégiens ont profité du formidable intérêt suscité par son livre, Le Monde de Sophie, pour avancer d'autres auteurs.
Pas facile de situer la littérature nordique...
En Suède, les jeunes auteurs qui ont succédé à la génération des conteurs des années 60, comme Per Olov Enquist, vieux sage impossible à classer mais qui a dominé la scène littéraire (À lire absolument : Le médecin personnel du roi), peinent à trouver leur place : ils sont « concassés » par la vague des polars. En 2009, certains d'entre eux ont même lancé un manifeste pour une nouvelle décennie littéraire afin que le polar ne soit pas seul à occuper le terrain de la narration réaliste.
Le Danemark, patrie d'Andersen, du philosophe Søren Kierkegaard et de la romancière Karen Blixen peine lui aussi à trouver un nouveau souffle après la vague fantasque et euphorisante des Racontars arctiques de Jorn Riel. Aujourd'hui, Peter Høeg (Smilla et l'amour de la neige paru dans les années 90) est toujours l'auteur danois le plus populaire à l'étranger.
Racontars... ?
La série des racontars arctiques est une suite de fictions brèves ayant toujours pour héros – ou anti-héros magnifiques – les derniers trappeurs du nord-est du Groenland, paumés hâbleurs, écrivains de pacotille, tireurs myopes, philosophes de comptoir devant un imbuvable tord-boyaux, bourrus bienveillants, tous amoureux de cet être cruellement absent de la banquise, la femme. Au-delà du rire, parce que les livres sont de nature à dérider les plus mélancoliques, c’est bien toute une nouvelle vision du monde qu'offre Jørn Riel.
En Norvège, Per Petterson, écrivain engagé à gauche, a imposé en 2006 son œuvre subtilement poignante grâce à Pas facile de voler des chevaux, talent confirmé par Maudit soit le fleuve du temps.
Après Arto Paasilinna, avec ses histoires irrésistibles, la scène finlandaise a révélé Sofi Oksanen dont le roman Purge traite de l'occupation soviétique de l'Estonie et aborde le thème de la traite humaine dans la région de la mer Baltique.
Gaïa !
Avant l'explosion des polars nordiques, le fil de la littérature scandinave a été tissé en France par les éditions Gaïa (repérables grâce à leurs fameuses pages roses, allusion au rouge de Falun, très utilisé en Suède pour peindre les maisons traditionnelles et dont le pigment est fabriqué à partir des scories de cuivre extraites de la mine de Falun). Depuis, Gaïa a été rachetée par Actes sud, ses pages sont devenues blanches et son catalogue, qui privilégie toujours les auteurs nordiques, s'est diversifié.
« Pendant bien trop longtemps, lorsqu'on évoquait la littérature scandinave, les images qui venaient à l'esprit des lecteurs français évoquaient des paysages certes magiques mais rudes, impitoyables, aux habitants aussi sombres que la nuit polaire. Une littérature déprimante en somme. La création de Gaïa Éditions, il y a vingt ans par Bernard Saint-Bonnet et Susanne Juul, s'est voulue le poil à gratter de ces clichés bien ancrés. Et c'est avec la publication de Jørn Riel et de ses truculents Racontars arctiques que tout a commencé. Depuis, Gaïa, ce sont des romans qui font voyager, dans le monde comme dans la tête, de grandes sagas, des personnages que l'on peut prendre le temps de connaître, d'apprivoiser, de suivre tout au long de leurs aventures... »
© Gaïa
Lectures
Amour de Hanne Orstavik × L'Embellie de Ava Audur Olafsdottir
Deux romans autour de la maternité, l'un lumineux, l'autre implacable. Deux jeunes femmes au tournant de leur vie et qui font passer leur accomplissement personnel en premier. Mais là où l'une a assumé trop tôt sa parentalité et s'en défait au profit de sa vie de femme, l'autre part à la recherche d'un fils abandonné très jeune et rencontre un enfant. Amour est un roman glaçant dans tous les sens du terme, obsédant. Les voix des deux narrateurs s'entremêlent pour décrire le plus simplement du monde un rendez-vous tragiquement manqué.
L'embellie, au contraire est un roman hédoniste qui non seulement nous présente une héroïne pleine d'humour et éprise de liberté mais aussi un petit pays défiant les éléments : l'Islande, superbe et exotique. Sans parler des plaisirs de la chair...
Cent ans de Herbjorg Wassmo × La Terre des mensonges de Anne Ragde
Deux histoires de famille au long cours, assez longues pour que l'histoire de la Norvège s'y invite. Mais l'un est un roman de réconciliation, l'autre de dissolution. À travers trois générations de femmes, Herbjorg Wassmo dresse le tableau d'un pays rude et noyé où le courage, la détermination des femmes sont engloutis par leur lutte quotidienne pour maintenir la dignité de familles pléthoriques. Anne Ragde, elle, avec un art consommé du suspens, fait éclater la bulle de mystère qui étouffe une famille désunie au départ et qui vient se réchauffer aux lumières de Noël.
Smilla et l'amour de la neige de Peter Hoeg
Une sorte d'introduction aux éléments qui font le succès de la littérature nordique actuelle : le parfum de thriller, la mélancolie des personnages et l'exotisme créé grâce aux paysages, à l'histoire contemporaine des pays et régions évoqués (Danemark, Groenland), au décalage du ton qui s'affranchit des règles du roman de genre pour mieux les réinventer. Mais surtout, une analyse ethnologique qui vaut toutes les études théoriques.