Deux numéros de l'émission Phylactères sont dédiées à ce sujet et ont été diffusées sur Radio Balistiq. L'enregistrement a eu lieu à la Médiathèque avec la participation de bibliothécaires et en présence du public.
Phylactères : la guerre 14-18 en BD, partie 1
émission diffusée le 29 décembre 2014
Phylactères : la guerre 14-18 en BD, partie 2
émission diffusée le 12 janvier 2015
Parce que la bande dessinée est bien plus souvent qu'on le croit un témoignage direct de son époque (pas moins de 3 albums de Bécassine sur ce sujet pendant que la guerre faisait rage), elle est aussi une autre façon de raconter l'Histoire, après coup.
Les auteurs de cette période tumultueuse en ont aussi été les acteurs. Mêlés malgré eux à un conflit mondial, ils n'avaient bien souvent comme échappatoire à l'enfer de la guerre que la possibilité de rendre compte de leur quotidien par le dessin. Ce témoignage, afin de toucher le plus grand nombre, n'était pas forcément sombre et déprimant, en particulier s'il était publié pendant que le conflit faisait rage.
Ce n'est que plus tard que les horreurs de la guerre ont pu être abordées comme un devoir de mémoire... graphique.
En pleine action
Début 1900, les bandes dessinées sont plutôt appelées « Illustrés ». Ces derniers sont destinés presque exclusivement à un public enfantin, même si bien souvent c'est toute la famille qui suit les aventures des héros d'une semaine à l'autre.
Les titres parlent d'eux même : La semaine de Suzette, Le jeudi de la jeunesse, La jeunesse illustrée, Le petit illustré pour la jeunesse et la famille.
Deux journaux marquent plus particulièrement la période de la guerre : La vie de garnison et Le régiment. Tous les deux proposent des histoires militaires. Et si La vie de garnison existe depuis 1909, Le régiment – qui voit le jour en 1914 et ne perdure que jusqu'en 1918 - est entièrement consacré à la guerre. Celui-ci prend d'ailleurs le relais de La vie de garnison durant cette période.
L'Épatant, plus grand public, ne connait pas de période d'interruption durant le conflit, et il adapte ses couvertures au contexte, mettant régulièrement à l'honneur, et souvent de manière humoristique, des Poilus.
Bécassine s'en va en guerre
Caumery est le scénariste des péripéties de la plus célèbre Bretonne du monde. C'est très rapidement - au bout de la troisième aventure seulement - que le sujet de la guerre est abordé dans les histoires de Bécassine. En effet, la Première Guerre Mondiale débute immédiatement après la création de notre héroïne. Et si la Bretonne en robe verte est un peu idiote, elle n'en est pas moins patriote. Bécassine pendant la Guerre paraît donc en album en 1916, Bécassine chez les Alliés en 1917. Cet album est alors dessiné par Édouard François Zier puisque Joseph Porphyre Pinchon, le dessinateur original de la série était... mobilisé sur le front justement, ce qui lui a probablement donné des idées pour l'album suivant de Bécassine : Bécassine mobilisée en 1918.
L'expertise Tardi
De part son histoire personnelle - son grand-père a participé à l'intégralité de la « Grande boucherie » - Jacques Tardi a, depuis ses débuts dans la bande dessinée dans les années 80, voulu raconter par l'image sa vision de la guerre. Et pas une vision approximative ! Jacques Tardi a le souci du détail, de la véracité historique qu'il a cernée au plus près grâce à plusieurs albums. Cette envie de connaître avec précision le quotidien des Poilus - comment ils entamaient la journée, comment ils trouvaient la force de continuer malgré le froid, la faim, la boue, pourquoi ils ne désertaient pas - a fait de Tardi un chercheur du quotidien, le propulsant au fil des années au rang d'expert.
Son titre phare C'était la guerre des tranchées - paru en 2 volumes en 1983 sous le titre Le trou d'obus - et Putain de guerre, n'a pas fini d'impressionner les lecteurs. It was the war of the trenches, dans sa version américaine, a même reçu 2 Eisner awards.
A l'occasion du 90e anniversaire de la Grande Guerre. Les éditions Casterman ont également publié son Journal de guerre de 1914 à 1919, un récit fictionnel dont la puissance documentaire en a fait un ouvrage fondamental.
La BD en témoignage
Des histoires d'antan pour auteurs récents
La nouvelle génération creuse dans les tranchées depuis bien longtemps pour puiser son inspiration, il n'est donc nul besoin de "produire" de la bande dessinée pour le centenaire... il suffit de continuer les séries en cours et de re-publier les incontournables du genre.
Du fantastique...
Le sujet est souvent traité avec réalisme, mais des récits plus fantaisistes, ou relevant carrément de la science-fiction sont également présents.
Ainsi, Xavier Dorison, dans Les sentinelles, met en scène des super-soldats créés de toutes pièces par la science pour combattre à la place des hommes. Dans Lumière sur le front, le tome 2 de L'hiver d'un monde, Mazan fait vivre à son héros des aventures bien étranges. Enfin, David B. au travers du magnifique « one shot » La lecture des ruines, nous intéresse aux superstitions liées aux soldats morts au combat.
... à l'hyper-réalisme
Entre 1979 et 1988, l'anglais Pat Mills a publié hebdomadairement dans le magazine Battle une épopée monumentale - considérée par beaucoup comme un chef d’œuvre - sur le sort d'un jeune soldat anglais de 16 ans au cœur des batailles. La Grande Guerre de Charlie est une mine d'informations que ne renierait pas Jacques Tardi, et la précision impressionnante des "aventures" d'horreur et de sang du jeune homme est renforcée par un dessin en noir et blanc à la précision presque chirurgicale.
L'immédiat après-guerre est également souvent exploité. Les portraits des gueules-cassées tels que Gueule d'amour d'Aurélien Ducoudray ou Pour un peu de bonheur de Laurent Galandon montrent que le retour à la vie normale, quand on est autant marqué dans sa chair que dans son âme, est mal aisé, et ces deux bandes dessinées, chacune avec une approche très différente, rendent bien compte de cet état de fait.
Dans son dernier titre Le soldat inconnu vivant, qu'il a adapté lui-même à partir de son roman éponyme, Jean-Yves Le Naour aborde le sort des soldats amnésiques et celui des familles désespérées d'avoir perdu un proche et qui sont prêtes à tout pour le retrouver... même à vivre dans le mensonge.
Le sang des Valentines de Christian de Metter et Les Caméléons de Henri Fabuel nous propulsent dans le chagrin des survivants, soldats et familles, et dans les deuils qu'il faut bien faire...
Certains faits peu connus sont aussi mis en lumière par la bande dessinée : dans Vie tranchées Jean-David Morvan se sert d'archives - qui ne sont plus accessibles à ce jour - pour parler de ces soldats internés en asile psychiatrique durant la guerre, devenus fous ou prétendus tels...
La guerre comme prétexte aux histoires
La période de 1914 à 1918 suscite bien des fantasmes, et beaucoup d'auteurs s'en sont servis comme toile de fond à des histoires parallèles : assassinats et enquêtes criminelles vont bon train pour certains, tandis que pour d'autres c'est au jour le jour qu'il faut composer avec le conflit.
La trilogie Notre Mère la guerre de Kris place une enquête policière sur des meurtres de femmes au cœur des tranchées. La série La tranchée d'Eric Adam est également une investigation menée au front pendant que les combats font rage.
C'est un peu ce même principe que Laurent-Frédéric Bollée propose avec la mort d'un des 8 personnages que son histoire réunit sous le bombardement de Paris le 1er mars 1918 dans le dyptique Un long destin de sang.
Les séries Tendre Violette de Gérard Dewamme et La Croix de Cazenac d'Eric Stalner démarrent durant la guerre, et leurs héros la subissent plus qu'ils n'y participent.
Il y a le ciel, le soleil et la guerre
Les colonies et l'outre-mer ne sont pas non plus oubliés dans ces reconstitutions par l'image.
La grippe coloniale d'Appollo avec son lot de soldats déconnectés de la réalité, Papeete 1914 de Didier Quella-Guyot, un archipel paradisiaque loin de l'Europe mais pas épargné par les croiseurs allemands, ou encore le superbe Sang noir de Frédéric Chabaud, qui retrace le parcours d'un tirailleur sénégalais dans les tranchées et enfin le fameux Féroces tropiques de Thierry Bellefroi qui nous place du coté de l'ennemi, en sont de parfaits exemples.
Dans Les quatre coins du monde de Hugues Labiano, ce sont les Touaregs qui passent du désert marocain au front et les Chroniques outremers de Bruno Le Floc'h nous plongent au cœur d'un trafic d'armes en pleine Méditerranée puis nous font traverser l'Atlantique !
On peut rire de tout, même du pire
Pour terminer sur une note positive, il est bien connu qu'on peut rire de tout... mais pas avec tout le monde.
Si les illustrés de l'époque - on l'a vu avec L'Épatant - savaient tourner en dérision le Poilu ou le soldat allemand, la tradition humoristique n'a pas disparu avec le temps.
Manu Larcenet dans Une aventure rocambolesque du soldat inconnu met son talent au service d'une comédie grinçante, tout comme il l'avait fait dans Une aventure rocambolesque de Vincent Van Gogh qui imaginait humoristiquement la participation du peintre à la guerre de 14. Et dans un registre plus bon enfant, Les godillots de Olier est l'histoire comique de deux poilus en charge du ravitaillement, car même sous les bombes il fallait bien manger.
Ces dernières décennies ont été riches en éditions de toute sorte : romans, documentaires, ouvrages illustrés, et bien entendu de nombreuses bandes dessinées, et si tout, ou presque, a déjà été publié sur le sujet, ce devoir de mémoire, quelle que soit la forme qu'il prenne est toujours nécessaire. Il est donc fort probable que le monde de l'édition s'emparera, durant de nombreuses années encore, du sujet pour le pire et pour le meilleur... même si le meilleur est certainement déjà paru !
Les BD de la Grande Guerre
Bandes dessinées ayant pour sujet la guerre 14-18