Georges Perros, un homme en partage

Beaucoup pensent aujourd'hui que la poésie est compliquée, alambiquée, opaque ; que la lecture en est le plus souvent difficile et laborieuse... En revanche, biographies, autobiographies et autres auto-fictions sont à la mode, participant de cette fascination collective pour l'intimité exposée, racontée, livrée brute – cette « réalité » de tout-un-chacun.

perroslogo printemps des poetesVoici l'œuvre d'un écrivain propre à réconcilier ces deux genres.

À découvrir pendant le Printemps des poètes !

Présentation

« Georges Perros fait partie d'une discrète, émouvante et rare constellation d'écrivains peu enclins à « faire œuvre ». Écrire ne fut pour lui ni un métier ni un projet, mais une manière de se livrer à une longue confidence. Il écrivit beaucoup, mais sans se prêter au jeu consistant à « faire l'écrivain ». Prolixe mais sans aucune vocation ni ambition particulière, du genre roseau qui ondoie au gré des caprices du vent. La simplicité lui était ligne d'écriture autant que ligne de vie. Il lui suffisait de jouer du talent qu'il avait, « naturellement ». Naturellement, c'est-à-dire au plus près d'une parole qui vient au fil des jours quand on se parle à soi-même. De quoi faire des Papiers collés, quelque part entre Montaigne et Cioran, dans l'ondoiement et la profusion, la critique acerbe et l'ironie désinvolte. Ou bien des poèmes, mais rares, Poèmes bleus et Une vie ordinaire... Assez de singes, par ailleurs, s'exerçaient à grimper au cocotier littéraire...

Il n'avait, lui, rien à prouver, nulle envie de rivaliser avec qui que ce soit, fût-ce avec lui-même. »

© Revue Europe

Georges Perros en extraits collés

On meurt de rire on meurt de faim
On meurt pour blessure à la guerre
On meurt au théâtre à la fin
D’un drame où le ciel est par terre.
Il est cent façons de mourir
Pour vivre on est beaucoup plus sage.
Il s’agit de savoir moisir
Entre l’espoir et le fromage.

Poèmes bleus, Poésie / Gallimard , p. 110

On m'a bien dit que j'étais né
mais de si drôle de façon
je me méfie des gens qui m'aiment
sans trop pouvoir faire autrement
bref j'attends confirmation
de cet événement suspect
rien ne m'ayant encor donné
l'enviable sensation
d'être tout à fait là sur terre
plutôt que dépendant d'un ciel
qui change souvent de chemise
bien plus que moi.
N'importe allons
Je suis pour le discours humain
Je suis pour la moitié du pain
Le désespoir c'est de se taire
Et si mon langage vous pèse
quoique si léger si fuyant
rien de plus facile à votre aise que de jeter ce livre au vent.

De cet étonné d'être là
il avait sept mois et demi

(Ah ce mois et demi me manque
Je suis l'homme d'un courant d'air
qui aurait trouvé sa fenêtre
un peu trop vite se lâchant
dans la nature sans avoir
pris nécessaire rendez-vous
Ne cherchez donc pas trop ailleurs
ce qui mutile ma parole
elle est dans le vent et ne tire
qu'un pauvre diable par la queue)

qui se noyait dans la cuvette
il pesait moins de trois kilos
il était condamné à mort
au reste l'est-il pas toujours
comme mort son frère jumeau
avant même d'avoir vécu

(mais c'est plutôt sœur que j'aurais
aimé sentir en même temps
que moi vivant sur cette terre
et j'en aurais été jaloux
supportant mal quelle préfère
me faire cadeau d'un beau frère)

il m'étonne encor d'éprouver
le taciturne goût de vivre
Je l'entends qui se parle en moi
comme dans un habit trop grand
se débattent la chair et l'os
d'un qui aurait poussé trop vite.

Une vie ordinaire, Poésie / Gallimard, 1999, p.19-21

Si j’écris au plus près des mots
leur laissant toute latitude
de me trahir (c’est ce qu’ils font
dès qu’on leur ouvre un peu la porte)
c’est évidemment volontaire
Je pourrais sans doute de biais
t’interrompre banal discours
et prêter à penser aux jours
qui donneraient sens aux ténèbres
Je n’en suis pas là quoique aimant
ceux dont le langage inspiré
demandait pour mieux respirer
d’être ainsi traité Espérons
que cela me sera possible
c’est si beau une page blanche
Et tous ces mots prêts à sortir du
dictionnaire on n’a qu’à prendre
Vrai tous les mots de Moby Dick
ou de la Bible pourquoi pas
sont à portée de toute tête
et l’aphorisme de Pascal
Tout est là Malheureusement
chacun d’entre nous n’a pouvoir
que de parler son seul langage
A quoi bon vouloir être un autre
qui nous fascina par ses mots
il en a souffert la richesse
assumons notre pauvreté
Beaucoup d’écrivains d'aujourd’hui
sont gosses de riches ainsi
Ils choisissent dans la vitrine
le dernier cri sans pour autant
perdre leur bonne mine Allant
de fleur en fleur très littéraires
butinant au gré de leur goût
très sûr au reste mais vicieux.

Une vie ordinaire, Poésie / Gallimard, 1999, p.90

« Reste ceci la note existe. Elle est très proche de l'objet. Elle dit à peine ce qu'elle veut dire. Elle est naïve, parce que confiante. Elle laisse l'intelligence de l'autre libre de la finir, de la commencer, ou de l'avaler. Elle est paresseuse et ne tient pas absolument à se faire entendre. A être prise aux mots. Mais préfère sonner, résonner. Son auteur et son lecteur doivent en sortir indemnes. Elle a le goût effréné de l'autonomie, de la liberté. Rien de moins familier, malgré les apparences. De moins « humain ». Le commerce l'indiffère. Elle est éminemment coquette, puisqu'elle se montre dans le but d'être seulement remarquée, « notée ». Elle ne dédaigne pas de laisser un souvenir impérissable. Mais plutôt par le parfum que par la parole. (Elle aime assez le paradoxe.) Son corps est à la limite du fantomatique. Elle suggère. N'insiste jamais; fait souffrir le souhaiterait sans laisser jouir. Disons qu'elle est d'essence féminine. »

Extrait de Notes pour une préfacePapiers collés

Sa vie (1923-1978)

perros motoGeorges Perros, de son vrai nom Georges Poulot, est né à Paris en 1923, accompagné d'un frère jumeau qui « mourut sans même avoir vécu ». Il restera le fils unique d'un père exerçant dans les assurances et d'une mère, fille de paysans.

Le père est muté à Reims en 1933, puis à Belfort. Georges, ni brillant, ni cancre, poursuit sa scolarité, se passionne pour le sport et l'opérette, joue du piano.

Il est envoyé à Rennes chez des amis au début de la guerre et prend des cours d'art dramatique, « vieille démangeaison ».

En 1941, il abandonne sa préparation au baccalauréat pour se former à l'art dramatique, se lie d'amitié avec Gilbert Minazzoli, et trouve un emploi de commis de librairie chez une vielle tante. Ses parents le renient. Il assiste au cours de Paul Valéry et de Vladimir Jankélévitch, rencontre André Gide et fréquente Paul Léautaud.

Il comprend très mal la Libération, « n'en découvrant que le côté sordide ; la vengeance des voisins du quartier sur des femmes qu'ils rasaient et insultaient ». Fréquente les « Lettristes » (Isou, Pomerand, Lemaître) et écrit dans la revue du groupe, La Dictature lettriste.

Après la guerre, il rédige un journal intime. Il est reçu au Conservatoire d'art dramatique avec Serrault, Poiret, Le Poulain, mais travaille seul le plus souvent. Engagé dans la maison de Molière, il prend la race des acteurs en horreur et décide de fuir toute théâtralité.

En 1950, il rencontre Jean Grenier dont il a lu avec ferveur Les Îles, et entretient avec lui une correspondance suivie jusqu'à sa mort. Grâce à Gérard Philippe, il est engagé au T.N.P. de Jean Vilar, pour y assurer un travail de lecteur de manuscrits. Il se lie avec les principaux piliers de la N.R.F. : Jean Paulhan, Georges Lambrichs, Brice Parain..., publie quelques notes, fait des comptes-rendus de lecture pour la revue.

En 1953, il se lie d'amitié avec Michel Butor, rencontre Tania, une russe qui vivait avec l'un de ses compatriotes dont elle avait deux enfants. Il se passionne pour les écrits de Kierkegaard, Kafka, Lichtenberg, Thoreau, Hölderlin, Browning, Roussel, Leiris, Des Forêts...

Sa vie sombre dans la tourmente, il fait de fréquents séjours en Bretagne, puis décide de demeurer à Douarnenez avec Tania.

Papiers collés I, notes et réflexions griffonnées sur des bouts de papiers associées à des études sur la littérature, est publié en 1960. Poèmes bleus paraît en 1962. Trois enfants naissent : Frédéric, Jean-Marie et Catherine. Il se marie avec Tania.

En 1967, Georges Perros perd son emploi au T.N.P. et publie Une vie ordinaire.

À l'occasion des représentations de Votre Faust de Butor, il voyage en Italie, puis à Nimes, Marseille, Paris. Il obtient un emploi de « lecteur à la pige » chez Gallimard.

En 1970, il assure ce qu'il appelle des « cours d'ignorance » à la faculté de Lettres de Brest jusqu'à l'opération qui le privera de sa voix, puis voyage à Tunis sur l'invitation de Lorand Gaspar.

Il obtient le Prix Bretagne avec la parution de Papiers collés II et le prix Valery Larbaud pour l'ensemble de son œuvre.

En février 1976, il est hospitalisé à l'hôpital de Laennec à Paris, puis dirigé sur Marseille pour une rééducation de la parole qu'il refuse. Le mal s'aggrave, il subit une deuxième intervention.
Il meurt le 24 janvier au petit matin, et est inhumé au cimetière Saint-Jean de Tréboul qui domine la mer.

Sa correspondance importante (avec, entre autres, Jean Grenier, Jean Paulhan, Brice Parain, Lorand Gaspar, Michel Butor, Jean Roudaut, Bernard Noël, Gérard Philippe, …) s'ajoute à son œuvre.

Sources :

Documents à emprunter à la médiathèque

vie ordinaireUne vie ordinaire

par Georges Perros

Georges Perros parle de la vie ordinaire d'un homme, de l'enfance à l'âge mûr, de la mère à la paternité, en toute simplicité. Il ne cherche pas à nous raconter sa vie en nous montrant ce qu'elle a d'unique ou d'extraordinaire. L'emploi de l'indéfini une révèle à quel point il s'agit d'une vie prise parmi tant d'autres et dont l'intérêt réside peut-être dans ce qu'elle a de commun avec tant d'autres vies humaines.

occupationL'Occupation et autres textes

par Georges Perros

L’occupation rassemble des œuvres majeures de Georges Perros parues dans des tirages confidentiels aujourd’hui, pour la plupart, épuisés. À l’instar des Papiers collés, les œuvres rassemblées dans ce volume explorent tous les registres de l’écriture fragmentaire de Georges Perros.

papiers collesPapiers collés

par Georges Perros

Volontairement, paresseusement, éperdument, Georges Perros note. Bribes et morceaux ; fulgurations, colères, angoisse, apaisement, selon l'humeur, la lecture, le lieu, bref, comme tout le monde vit : par moments, par éclairs, par éclats

pour ainsi direPour ainsi dire

par Georges Perros

Pour ainsi dire est un ultime volume de Papiers collés. Toute la manière de Perros est là, notes, aphorismes, textes courts ; ses thèmes de prédilection aussi : l’amitié, l’incommunicabilité, le théâtre, l’écriture... Une élégante édition qui n’a vraiment rien d’un fond de tiroir.

Alexandre Fillon, Lives Hebdo

correspondance 1955 1978Correspondance : 1955-1978

par Michel Butor et Georges Perros

Passionnante, cette correspondance l’est à plus d’un titre: elle est le regard complice de Perros sur l’œuvre de Butor, elle est un échange critique de deux grands lecteurs sur la littérature contemporaine (réflexions subtiles, pertinentes, impertinentes, amusées, élogieuses, sur les dernières parutions de Roland Barthes, Nathalie Sarraute, Pierre Klossowski, Jean-Edern Hallier ou encore Philippe Sollers — et du groupe Tel Quel que Perros égratignera dans un article resté fameux), elle donne aussi à lire un pan inédit de la genèse et de l’élaboration de l’œuvre des deux écrivains.

correspondance 1960 1971Correspondance : 1960-1971

par Brice Parain et Georges Perros

Bougonnements aphoristiques, soupirs d'hommes mariés n'aimant rien tant que leur recoin irréductible de célibataire. "La poésie, lâche Perros, c'est l'indifférence à tout ce qui manque de réalité." Et Parain: "Quand on n'est plus révolté, on ne peut plus être autre chose qu'ahuri sans doute." Les curieux de théories littéraires peuvent remballer tout de suite, on ne peut rien pour eux. Les autres, ceux qui ont la chance de faire connaissance pour la première fois avec de tels zèbres, risquent le coup de foudre.

Michel Crépu

correspondancesCorrespondances

par Bernard Noël et Georges Perros

Faite de pudeur, parfois de timidité, cette correspondance entre deux écrivains de "grand format" témoigne d'une grande attention à l'autre, à ses projets et à ses livres. Entre le silence "à vide" et "avide" de Bernard Noël et la "liberté du retrait" cultivée par Georges Perros, la lettre prend alors une allure qui dépasse le medium, elle touche à la fugue, à la méditation sur l'homme et sur l'écriture.

Hervé Carn

Critiques

Georges Perros : un homme en partage
In : Le Matricule des anges (n° 125 Juillet 2011)

Georges Perros
In : Europe (n° 983, mars 2011)

L'Incognito de Douarnenez
livre documentaire

Georges Perros
livre documentaire

Georges Perros: 1923-1978
DVD documentaire

Pour en savoir plus

un article de Didier Garcia