Les mauvais garçons sont toujours les plus fascinants. Ils réveillent en nous cette envie de danger que l'on ne peut assumer sans mettre en péril son équilibre personnel. Il est bien plus facile de vivre une vie aventureuse, passionnée, hors la loi, hors les lois, par procuration.
Et puis pour que cette vie provocante et canaille vaille la peine d'être vécue, elle doit être soutenue par le talent, sinon on risque de n'être qu'un malfrat de plus alors qu'on se rêve poète maudit !
Une saison en enfer ne pourrait le nier, mais avant lui il y a eu en France un autre jeune homme plein de morgue et de fougue, de talent explosif, un poète ambitieux et fécond, difficile d'accès tant son verbe est un jeu. L'insouciance de la jeunesse ne semble pas être une clé pour comprendre la rébellion latente de François Villon que ses nombreux exploits criminels ont concrétisé.
L'auteur deOrphelin de père, il verra sa mère pendue. Élevé dans la piété par un professeur en plein cœur du Quartier Latin à Paris, il s'en sort plutôt bien, eu égard à sa condition première, et poursuit brillamment des études qui le mèneront... à la débauche.
Rimbaud, lui, n'a qu'une idée en tête... fuir le cocon familial qu'il trouve étouffant et étroit d'esprit. C'est son génie tôt reconnu qui le sauve, lui permettant de fuir. On peut se demander ce qu'il serait advenu du jeune Arthur si Paul Verlaine ne l'avait pas fait venir à Paris. Il serait probablement arrivé à ses fins, son talent ne supportant pas l'échec.
Tout donne l'impression que la vie de Villon bascule systématiquement dans le chaos, qu'il aime à provoquer, mais ne contrôle rien. Et plus il prend de l'âge, plus les conséquences de ses actes s'aggravent. Ses protecteurs disparus, il a de plus en plus de mal à se sortir des geôles où le poussent régulièrement les différents rixes et meurtres auxquels il est mêlé.
Rimbaud n'échappe pas non plus à la prison... mais le motif n'est qu'une fraude au titre de transport. L'époque est différente, et ses provocations plus verbales que physiques, ne lui sont néfastes que par le nombre croissant d'ennemis qu'elles lui procurent. Son talent est, au contraire de Villon, reconnu de son vivant. Et même s'il est controversé, envié et jalousé, il ne peut être nié, même par ses détracteurs les plus acharnés. Il mène sa vie publique d'une manière extrêmement moderne pour l'époque. Il en serait de même pour sa vie privée sans l'obstination déraisonnable de Verlaine à l'aimer.
Villon ne saura jamais qu'il est considéré comme le plus grand poète du Moyen Âge... à moins que sa disparition à 30 ans à peine ne soit pas, comme on le pense, signe de son décès mais d'une retraite volontaire. Un peu comme Rimbaud qui, n'ayant plus rien à dire se tait définitivement à 22 ans et part pour de nouvelles aventures dont il ne parlera jamais lui-même. Cependant l'un comme l'autre n'ont pas laissé leur œuvre inachevée. Rimbaud en termine avec la littérature par de la poésie en prose dont il est en quelque sorte l'inventeur. Quant à Villon, avec Le Testament, il semble chercher à démontrer la puissance et la diversité de sa plume. Ce n'est pas son ultime écrit, mais c'est celui qui permet d'appréhender au mieux sa production toute entière.
Les illuminations en sont un exemple parfait. Si d'autres qu'eux ont subi les affres d'une enfance passée sous les auspices d'une religion trop prégnante, ils ont eu le courage que donne le talent de se rebeller contre ce qui était jusqu'au début du 20e siècle, une part essentielle du quotidien. L'un comme l'autre sont des visionnaires, et leurs vers sont bien plus politiques que poétiques quand on y réfléchit bien. Villon se réfugie à la cour de Blois, Rimbaud utilise celle du mouvement littéraire du Parnasse, pour arriver à leurs fins. La puissance salvatrice d'un appui qu'on manipule est alors indispensable à la création.
Cependant François Villon reste un poète assez mélancolique, et son œuvre est empreinte de regrets. La ballade des pendus en est le parfait exemple. Rimbaud est Le Voyant qui n'aura pour surprise que cette blessure qui précipitera sa mort. Ainsi, si les chemins semblent assez similaires, si les buts sont certainement les mêmes, les motivations sont bien différentes et les ressemblances ne sont finalement que superficielles.
Villon - Rimbaud
François Villon, Arthur Rimbaud, portraits croisés