Annie Ernaux en peu de mots
« D'abord il y a le titre, d’une simplicité désarmante : Les Années.
Ensuite, la première phrase : « Toutes les images disparaîtront ». Une phrase qui sonne comme un avertissement, et qui nous dit que, quoi que l’on fasse, le temps aura raison de nous, de nos vies, et de notre mémoire.
Il faut donc écrire, le plus vite possible, afin de sauver ce qui peut l’être.
Dès lors, l’écriture coule à flot, comme des larmes : parfois sans majuscules, sans ponctuation, et même sans verbe.
Annie Ernaux ne s’embarrasse de rien : ce qu’elle cherche, c’est l’authenticité.
Son livre ressemble à une pellicule qu’elle aurait déroulée, les souvenirs étant des négatifs qu’elle observerait à la loupe.
Les photos défilent, et derrière la vie de l’écrivain se dévoile une histoire collective... »
© Laura El-Makki, France inter
« Enfant, quand je m'efforçais de m'exprimer dans un langage châtié, j'avais l'impression de me jeter dans le vide. Une de mes frayeurs imaginaires, avoir un père instituteur qui m'aurait obligée à bien parler sans arrêt en détachant les mots. On parlait avec toute la bouche. Puisque la maîtresse me "reprenait", plus tard j'ai voulu reprendre mon père, lui annoncer que "se parterrer" ou "quart moins d'onze heures" n'existaient pas. Il est entré dans une violente colère. Une autre fois: "Comment voulez-vous que je ne me fasse pas reprendre, si vous parlez mal tout le temps !" Je pleurais. Il était malheureux. Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancœur et de chicanes douloureuses, bien plus que l'argent. »
« Ça suffit d'être une vicieuse, une cachottière, une fille poisseuse et lourde vis-à-vis des copines de classe, légères, libres, pures de leur existence... Fallait encore que je me mette à mépriser mes parents. Tous les péchés, tous les vices. Personne ne pense mal de son père ou de sa mère. Il n'y a que moi. » Un roman âpre, pulpeux, celui d'une déchirure sociale, par l'auteur de La place.