Écriture « plate » ?
Annie Ernaux dépouille sa prose au maximum afin d'être au plus proche de la vérité sans lui imposer une couleur émotionnelle : la trame est sa vie, mais telle qu'elle fut, non telle qu'elle l'a ressentie. D'où un processus laborieux de création qui peut prendre des années, et dont elle fait part au lecteur au détour de certains de ses récits :
« Pour rendre compte d'une vie soumise à la nécessité, je n'ai pas le droit de prendre d'abord le parti de l'art, ni de chercher à faire quelque chose de « passionnant » ou d'« émouvant » (La place). »
Ses phrases sont courtes, son écriture factuelle, conférant aux mots une sorte de brutalité qui alpague le lecteur pour ne plus le lâcher. L'auteur est clairement identifié au narrateur (« je »).
La « neutralité » de son écriture lui permet également d'être aussi éloignée du misérabilisme que du populisme et laisse la possibilité au lecteur de se projeter dans l'histoire.
Les Années, son style se modifie un peu : au présent et au passé composé utilisés pour décrire des faits et gestes personnels, aux phrases courtes, s'ajoutent l'utilisation de l'imparfait et de phrases plus longues afin de rendre compte du temps social, de l'Histoire. Mais on y trouve toujours les photos, décrites avec minutie, portes ouvertes sur des observations sociologiques et historiques (via les coiffures, les attitudes, le décor…), utilisées comme jalons d'une réalité à un instant précis et les listes (d'expressions, de mots, de modes), processus d'écriture qui donnent à ses livres un parfum d'authenticité et nous rappellent à nous-mêmes et à nos propres souvenirs.
Dans son romanÀ ce polissage, elle consacre L'Atelier noir où elle décrit comment elle est happée par l'écriture après une lutte dont la matière à découvrir sort toujours victorieuse. Brusquement, il paraît évident que ses écrits non seulement utilisent sa vie mais qu'ils la justifient.