Witold Gombrowicz est né en 1904 à Maloszyce (Petite Pologne). Il est le petit dernier d'une famille de quatre enfants issue de la noblesse terrienne. Élevé par un père sérieux et une mère extravagante, il règne dans la maison natale, malgré les apparences, une grande dissonance.
Une jeunesse polonaise
Witold enfant« Car nous, ses fils, nous lui déclarâmes la guerre. Elle nous irritait. Elle nous provoquait. »
« Au fond de nous-mêmes, le soupçon nous rongeait de plus en plus que nous n'étions peut-être pas non plus exempts de cette maladie de « l'irréalité » contre laquelle nous luttions chez notre mère – oui, nous commencions à sentir, sinon à comprendre, que notre cas était comparable au sien, que nous n'avions pas non plus connu l'épreuve de la vie, que nous n'avions pas avec celle-ci de contact tellement plus profond. Je touche ici un de mes points les plus sensibles, qui a beaucoup influencé mon développement. Et je demeure persuadé que toute la soi-disant classe supérieure en Pologne souffrait de cette même maladie […] »
Souvenirs de Pologne (1996)
Witold se lie d'amitié avec les garçons de condition inférieure - fils de paysans et de valets d'écurie - qu'il est censé commander. Il admire les pieds nus et les chemises de grosse toile de ses sujets et trouve son accoutrement et ses manières aristocratiques grotesques.
En 1911, la famille s'installe dans un quartier élégant de Varsovie.
La guerre mondiale suscite en lui un intérêt pour l'Occident et une aversion pour l'armée. Alors que son frère est envoyé au front pendant la guerre polono-bolchevique, il éprouve le sentiment de ne pas être comme les autres. La problématique infériorité / supériorité le ronge et le sentiment d'étrangeté par rapport à son propre milieu grandit.
Witold Gombrowicz est un grand lecteur. La lecture de Nietzsche et Schopenhauer le marque profondément, mais aussi celle de Pascal, Rabelais, Montaigne, Shakespeare, Dostoïevski, Thomas Mann, Alfred Jarry.
Après son baccalauréat, il étudie le droit puis voyage en France. Il abandonne la carrière d'avocat et fréquente les cafés littéraires de Varsovie dont le célèbre café Ziemianska.
L'immaturité comme fondement
le certificat de la maturitéEn 1933, Gombrowicz commence à rédiger des articles dans les journaux de Varsovie et écrit un recueil de contes Mémoires du temps de l'immaturité. Ce terme de « l'immaturité » renvoie ironiquement à l'appellation que l'on donne officiellement au baccalauréat en Pologne : le « certificat de maturité ». Jouant du titre équivoque contre le débutant, Juliusz Kaden-Bandrowski, écrivain très connu, a affirmé que Gombrowicz était justement un artiste encore immature.
Repris et élargi en 1957, le recueil a pris sa forme canonique et a changé de titre devenant Bakakaï.
« On m'a tellement harcelé avec cette immaturité qu'elle a été le point de départ de mon livre suivant Ferdydurke et c'est ainsi que je suis devenu peu à peu le spécialiste de l'immaturité. »
Souvenirs de Pologne
Witold Gombrowicz écrit sa première pièce de théâtre Yvonne, princesse de Bourgogne, couché sur un tapis, en veillant son père malade. Ce dernier meurt en 1933. La pièce est une parodie shakespearienne qu'il qualifie lui-même de « comédie ». Terminée en 1935, elle est éditée dans la revue Skamander en 1938.
« On peut résumer en quelques mots l'histoire tragi-comique d'Yvonne. Le prince Philippe, héritier du trône, rencontre à la promenade cette fille sans charme… sans attrait : Yvonne est empotée, apathique, anémique, timide, peureuse et ennuyeuse. Dès le premier instant, le prince ne peut la souffrir, elle l'énerve trop ; mais en même temps il ne peut pas supporter de se voir contraint à détester la malheureuse Yvonne. Et une révolte éclate en lui contre les lois de la nature qui commandent aux jeunes gens de n'aimer que les jeunes filles séduisantes. « Je ne m'y soumettrai pas, je l'aimerai ! » Il lance un défi à la loi de la nature et prend Yvonne pour fiancée. »
Testament : entretiens avec Dominique de Roux
Se tenant à l'écart d'un groupe littéraire influent, les Skamandrites, Gombrowicz réunit son propre cercle au café Ziemianska.
Après la mort de son père, il occupe un deux-pièces en face de l'appartement de sa mère et de sa sœur. Il publie une série d'articles critiques littéraires regroupés aujourd'hui dans un recueil intitulé Varia contenant également de courtes fictions.
Affiche de Mieczysław GórowskiFerdydurke paraît en octobre 1937, pour moitié à compte d'auteur. Ce premier roman édité est considéré comme son œuvre fondamentale, un classique du XXe siècle. Gombrowicz n'a jamais dévoilé le mystère du titre : tantôt il prétendait qu'il l'avait choisi parce qu'il était difficile à prononcer en polonais, tantôt il avouait avoir trouvé un nom par hasard dans un journal anglais. Il provient en fait d'un personnage du roman de Sinclair Lewis, Babbitt, nommé Freddy Durkee. L'action du roman se situe au début des années 1930 à Varsovie et dans un manoir de campagne polonaise. C'est la satire de trois milieux : l'école, la bourgeoisie et la noblesse terrienne. Gombrowicz écrira plus tard : « Ce livre, d'une certaine manière, m'a situé face à la vie » (Testament)
« C'est l'histoire grotesque d'un monsieur qui devient un enfant parce que les autres le traitent comme tel. Ferdydurke voudrait démasquer la Grande Immaturité de l'humanité. L'homme, tel que le livre le décrit, est un être opaque et neutre qui doit s'exprimer à travers certains comportements et par conséquent devient, à l'extérieur – pour les autres –, beaucoup plus défini et précis qu'il ne l'est dans son intimité. D'où une disproportion tragique entre son immaturité secrète et le masque qu'il met pour frayer avec autrui. Il ne lui reste qu'à s'adapter intérieurement à ce masque, comme s'il était réellement celui qu'il paraît être. »
Préface
Vous dites, mauvais roman ?
En juin 1939, démarre le feuilleton Les envoûtés qui paraît sous le pseudonyme de Zdzislaw Niewieski, dans les journaux de Varsovie. Ce roman est une parodie des romans d'épouvante dans le genre gothique, doublé d'un roman feuilleton à la Eugène Sue. Sa parution est interrompue en juin 39 avec la guerre. En 1986, un intellectuel polonais découvre inopinément les trois derniers épisodes qui paraissent dans la revue Argumenty. Gombrowicz n'a pas revendiqué la paternité de ce roman feuilleton écrit pour des raisons financières, si ce n'est à la fin de sa vie. Il sera édité en livre en 1973.
« Qu'est-ce qu'un « bon roman pour les masses » ? […] Un roman destiné aux masses – un roman qui soit vraiment le leur – doit être fait de ce qui plaît vraiment aux masses, de ce qu'elles vivent. Il doit toucher les instincts les plus bas. Il doit être un déchaînement de l'imagination dans le sale, le trouble, le médiocre… Il doit être pétri de sentimentalité, de convoitise, de sottise… […]
Je suis néanmoins porté à croire que cette idée de « mauvais roman » fut l'apogée de toute ma carrière littéraire – jamais, ni avant ni après, je n'ai conçu d'idée plus créatrice. […] »
Souvenirs de Pologne
Éxilé en Argentine
Invité pour une croisière sur le transatlantique Chrobry, Witold Gombrowicz arrive en Argentine le 20 août 1939. La guerre éclate, il décide de rester à Buenos Aires et y demeurera 23 ans. L'œuvre de Gombrowicz, interdite en Pologne par les nazis puis par les communistes, tomba dans un relatif oubli jusqu'en 1957 où la censure fut levée provisoirement.
En 1948, il écrit un drame Le mariage, puis commence un roman intitulé Trans-Atlantique, qu'il écrit pendant ses heures de travail au Banco Polaco.
« Une nuit que je rentrais à pied de Cabalito, je me mis, par jeu, à ordonner sur mode granguignolesque les souvenirs de mes premiers jours à Buenos Aires et, ce faisant, par la force du passé même, je me suis senti anachronique, drapé d'un style archaïque, empêtré dans une sclérose presque préhistorique et cela m'a tellement réjoui que je me suis mis à écrire quelque chose qui devait constituer mes mémoires préhistoriques de cette époque […] Mais naturellement – comme toujours – l’œuvre, une fois entamée, s'est échappée et a commencé à s'écrire d'elle-même […] »
Après avoir reçu en 1953 les exemplaires polonais du Mariage et de Trans-Atlantique, Gombrowicz se lance dans la rédaction de son Journal qu'il achèvera à Vence en 1969.
En mai 1955, Witold Gombrowicz quitte le Banco Polaco. Il a décidé de se consacrer entièrement à l’écriture. Il subsiste grâce à une petite bourse du Comité américain pour l’Europe libre et à des cours de philosophie donnés à des amies polonaises. Il écrira des textes entre 1959 et 1961, publiés après sa mort sous le titre Souvenirs de Pologne et Pérégrinations argentines.
dessin de Roland Topor pour l'édition espagnole de La pornographieGombrowicz se consacre à l'écriture de La Pornographie, roman situé en Pologne pendant la guerre, dans une propriété de la noblesse terrienne.
« Eh bien, dans La Pornographie, je révèle un autre but de l'homme, sans doute plus secret et moins légal : son besoin de Non-plénitude… d'Imperfection… d'Infériorité… de Jeunesse…
La Pornographie. Deux messieurs d’un certain âge tiraillés vers le bas... vers la chair, les sens, la jeunesse... En écrivant ce livre je me sentais mal à l’aise. Mais le « physique » m’était nécessaire, indispensable même, comme contrepoids à la métaphysique. D’ailleurs la métaphysique appelle la chair. Je ne crois pas en une philosophie non érotique. Je ne fais pas confiance à la pensée quand elle se délivre du sexe. »
Journal
Cosmos, dessin de Nicolas Barthelemy
Il est nominé en France pour le prix du meilleur écrivain étranger en 1959. Finalement, c’est Lawrence Durell qui l’emportera. Les éditeurs italiens, américains, anglais et allemands s’intéressent à son œuvre.
Witold Gombrowicz s'attaque à Cosmos, son cinquième roman, en 1961, et l'achève à Vence en 1964. Il paraîtra en Pologne en 1986. Witold Gombrowicz voyait dans Cosmos un roman sur la formation de la réalité, une sorte de récit policier.
« Cosmos pour moi, c’est noir, d’abord noir, quelque chose comme un courant noir, bouillonnant, plein de tourbillons, d’arrêts, d’eaux stagnantes, une eau noire chargée de mille résidus et que l’homme fixe en essayant de la déchiffrer, de comprendre, de lier ce qu’il voit en une certaine totalité. Le noir, la terreur et la nuit. La nuit traversée d’une passion violente, d’un amour dénaturé. »
Testament
Retour en Europe
Gombrowicz et son doubleAcceptant une invitation de la Fondation Ford à séjourner à Berlin-Ouest, Gombrowicz quitte l'Argentine en 1963.
Il tombe malade en 1964 et entre en clinique. Souffrant d'asthme et de dépression nerveuse, son état lui interdira tout retour en Argentine. Il s'installe en France à Vence avec sa compagne Rita et termine Cosmos alors que son Journal paraît en France. Opérette, troisième pièce, est la toute dernière œuvre de Gombrowicz .
Il y a travaillé pendant plus de quinze ans avant de parvenir à trouver sa forme définitive. La troisième et dernière version de l’œuvre, est commencée à Vence en décembre 1964 et terminée en août 1966.
« J’ai toujours été ravi par la forme de l’opérette, une des plus heureuses, à mon avis, qu’ait produites le théâtre. Si l’opéra est quelque chose de gauche, d’irrémédiablement voué à la prétention, l’opérette, dans sa divine idiotie, sa céleste sclérose, prend des ailes grâce au chant, à la danse, au geste, au masque, et me paraît être le théâtre parfait, parfaitement théâtral. »
Opérette, Commentaire de Witold Gombrowicz
Il est victime d'un infarctus le 18 novembre 1968 et épouse sa compagne Rita Labrosse en décembre. Il mourra d'insuffisance respiratoire le 24 juillet 1969.