Alors que le dragon était devenu un personnage suranné de notre univers fictionnel, une série est venue tout changer. Le phénomène Game of Thrones a relancé la mode du saurien ailé (ou pas) tant au cinéma que dans la littérature.
Un préquel à ce phénomène mondial est d’ailleurs prévu sur nos écrans pour cette année 2022. House of Dragons ne cache pas ses ambitions. Dès le titre le ton est donné !
Pourtant la littérature regorge de ces animaux fantastiques depuis très longtemps. D’ailleurs, la série de romans de fantasy Le Trône de Fer de George R. R. Martin dont l'écriture est toujours en cours et qui a donné naissance à la série télé Game of Thrones a été éditée pour la première fois en 1996, soit 15 ans avant la diffusion du premier épisode. La Légende arthurienne regorge de dragons et en 1967, Anne McCaffrey sort ce qui va devenir un monument de la littérature de fantasy : La Ballade de Pern.
En 1997, c’est une autre suite romanesque fantastique regorgeant de dragons qui va captiver le monde : Harry Potter à l'école des sorciers part à l’assaut des meilleures ventes de livres avant de devenir la série de films à succès que nous connaissons bien.
Néanmoins le dragon est un être mythologique (jusqu’à preuve du contraire) très ancien et présent dans presque toutes les cultures anciennes.
Le dragon oriental et ses multiples variétés (le dragon du ciel, le dragon des nuages ou encore le dragon jaune) est signalé dès le 1er siècle de notre ère par le philosophe Wang Fu. Sa caractéristique principale est d’être très long, serpentin, et sans aile (même si cette absence ne l’empêche pas de se déplacer dans les airs).
C’est d’ailleurs une magnifique représentation de cette race qui est exploitée dans Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux, un film des studios Marvel.
Le dragon européen quant à lui apparait dans les mythologies grecques et latines sous la forme de serpents gigantesques ou multicéphales. Doté de 2 ou 4 pattes, suivant les allégories, il est largement représenté dans les manuscrits médiévaux : la quête du chevalier croise toujours le chemin d’un dragon et la représentation du Diable est souvent associée à la forme saurienne de l’animal fantastiques.
Smaug, le dragon de Bilbo le Hobbit de J.R.R. Tolkien est un fameux représentant de cette variété.
Mais quel est donc le rapport entre tous ces dragons et Châteauroux ? Raoul aurait-il combattu un grand reptile du temps de sa gouvernance de la ville au Xe siècle ? Et si le château du sieur Raoul fut détruit par un incendie en 1366 peut-on l’attribuer au feu d’un dragon ?
Que nenni ! C’est dans le Bréviaire parisien que les monstres sont nombreux.
Légué à sa mort en 1856 par Jean-Louis Bourdillon, qui l'avait acheté au duc de La Vallière en 1784, il est aussi appelé Bréviaire de Châteauroux. Il est réputé pour ses 360 enluminures et pour ses couleurs éclatantes surtout les rouges très vifs, les bleus saturés et les roses tendres. Quatre grands artistes ou ateliers d'enlumineurs ont contribué à la beauté de ce bréviaire : Haincelin de Hagueneau, enlumineur du dauphin, le Maître de Bedford, le Maître d'Orose et le Maître de Bousicaut.
Ce manuscrit datant du XVe siècle est donc largement illustré et pas moins de 9 de ces enluminures ou lettrines représentent des dragons, ou des animaux fantastiques facilement assimilables à de très grands lézards.
On note la présence de nombreuses feuilles d’acanthe, fortement utilisées au Moyen Âge dans l’architecture et l’ornementation, et dont la symbolique indique que les épreuves de la vie et de la mort, symbolisées par les piquants de la plante, sont victorieusement surmontées.
Il faut garder en tête que le dragon est une allégorie multiculturelle. Le dragon mythique est chargé d’énergie. Sa symbolique est différente, voire opposée suivant la partie du monde à laquelle sa mythologie appartient. Le dragon oriental est positif et symbolise les forces de la lumière naissante. Le dragon occidental est plus sombre et en règle général est associé aux forces obscures et au déclin de la lumière.
L’association du dragon et de la feuille d’acanthe dans le Bréviaire - que l’animal mythique la crache telle une flamme ou s’en enveloppe telle une cape - reflète tout à la fois la puissance destructrice et protectrice ce ces deux symboles associés.
Dans tous les cas de figure, les représentations modernes du dragon n’ont rien de bien nouveau puisque pour chaque type de dragon mis en scène au cinéma, en dessin animé, en animation ou en image, il existe, rien que dans le Bréviaire parisien, un équivalent fort similaire.
Ne serait-ce pas Falkor du film L'Histoire sans Fin dans cette miniature ? Les oreilles tombantes, la fourrure (assez rares chez un dragon), le nez long et retroussé sont autant de similitudes surprenantes.
Ne croirait-on pas voir Elliott de Peter et Elliott le dragon dans cette lettrine avec sa couleur verte et ses 2 petites oreilles (rares et notables chez un dragon) redressées ?
L’artiste qui a réalisé ce vitrail au XIXe siècle pour l’église Saint-Sulpice à Le Bugle s’est-il inspiré de cette magnifique représentation de Saint-Marcel terrassant le dragon ? Les représentations de saints terrassant des dragons sont nombreuses mais l’allure soumise et sournoise tout à la fois du dragon dans cette enluminure est très intéressante.
Cette lettrine est-elle à l’origine du fameux combat de dragons de l’ultime saison de la série télévisée Game of thrones ? Nul doute que les réalisateurs se sont inspirés des ouvrages médiévaux pour créer leurs dragons.
Bien connue des berrichons sous le nom de vouivre, la Tarrasque incarne les dangers du fleuve Rhône à Tarascon. Elle est représentée avec sainte Marthe dans cette image pieuse du début du XXe siècle, mais également dans cette lettrine du Bréviaire en train de dévorer un personnage malchanceux. C’est d’ailleurs la représentation de la vouivre avec seulement 2 pattes arrières et 2 pattes avant mutées en ailes, comme dans cette illustration Saint-Michel et les anges combattant la vouivre, extraite du Liber Floridus (1448) de Lambert de Saint-Omer qui a inspiré le physique des dragons modernes
Sur cette image extraite du film Dragons 3 : le monde caché, Harold Horrib' Haddock III surfant sur le dos de son dragon noir Krokmou accompagné du dragon blanc Furie Éclair ne sont pas sans rappeler les deux dragons amadoués par saint Matthieu et retournant sagement dans leur caverne. L’idée du dragon indomptable et qu’il faut impérativement mater est depuis toujours contrebalancée par des témoignages anciens de dragons apprivoisés soit par des moyens religieux, soit par des moyens magiques.
Sur ce même folio, juste sous la miniature, une lettrine représentant un dragon à tête de femme (ou une femme à tête de dragon) nous renvoie indiscutablement à la Maléfique des studios Disney dans le dessin animé La Belle aux Bois Dormant. L’époque et la transformation en bête fabuleuse paraissent identiques. Même la couleur verte est prédominante dans les deux illustrations.
Le dragon multicolore crachant des feuilles d’acanthe elles aussi multicolores est sans aucun doute l’ancêtre de Zébulon le dragon et ses copains d’école. Cette représentation très particulière de l’animal est tout à fait notable tant dans sa mise en scène que dans le choix des couleurs. Elle est unique même au sein du Bréviaire.
Enfin un enfant tel Chihiro assis sur le cou de Haku sous sa forme draconique - image extraite du film d’animation japonais Le Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki - n’est pas une idée novatrice : la lettrine sur ce folio représentait déjà un enfant chevauchant un dragon.
Anciens ou modernes, les dragons n’ont pas fini de faire parler d’eux. La multitude de créations artistiques s’en inspirant en est la preuve. Sculptures, tatouages, images numériques, tout est utiliser pour s’approprier l’énergie draconique. Et même l’univers Star Wars n’y échappe pas puisque le chapitre 9 de la série The Mandalorian a récemment mis en scène un dragon Krayt vivant (alors que jusqu’à lors seuls des squelettes laissaient imaginer la bête) !