Agnès Varda a eu trois vies. D'abord elle a été photographe, auprès de Jean Vilar au festival d'Avignon, en Chine, à Cuba. Puis cinéaste à une époque ou il n'y avait pas de femmes cinéastes. Et puis il y a quelques années, elle est devenue artiste visuelle, artiste tout court... En quelques mots glanés de-ci, de-là, un portrait de cette cinéaste inclassable.
Enfance
Agnès Varda est née en 1928 à Bruxelles d'un père grec et d'une mère française. Elle grandit rue de l’Aurore, entourée de quatre frères et sœurs. Elle fuit la Belgique bombardée en 1940 pour s'installer avec sa famille à Sète où elle vit son adolescence.
Apprentissage
Agnès Varda étudie à l'Ecole du Louvre et à la Faculté de lettres de Paris où elle est l'élève de Bachelard. Pendant dix ans elle est photographe attachée au TNP (Théâtre national populaire) de Jean Vilar. En 1954, elle se lance dans le cinéma sans aucune formation, avec un long-métrage déjà annonciateur de la Nouvelle vague : La Pointe courte. Ce premier long métrage, produit avec peu de moyens mais beaucoup d'amitié (Alain Resnais en est le monteur, Philippe Noiret l'interprète), anticipe sur une approche du cinéma qui sera celle de la Nouvelle Vague.
Cinécriture
Bien qu'elle n'ait alors vu qu'une petite vingtaine de films, Varda a déjà une conscience aiguë de la modernité, et des nouveaux modes de narration qu'elle exige. Troquant son Rolleiflex pour une caméra, Agnès aborde en effet le cinéma comme un moyen d'écriture vierge, neuf, visant à explorer la fragmentation de la conscience à la manière de l'Ulysse de Joyce, ou des romans de Virginia Woolf. Ce qu' André Bazin décrira bientôt comme l'acte de naissance d'un cinéma libre et pur. Car Varda ambitionne avec son premier film de hisser le cinéma au rang de littérature. Voire d'en faire la somme de tous les autres arts : conjuguant dialogues littéraires (Truffaut dira d'ailleurs qu'il s'agit d'un film à lire), mise en scène picturale et rythme musical… Ce qu'elle range alors dans le mot-valise de cinécriture : « Le découpage, les mouvements, les points de vue, le rythme du tournage et du montage ont été choisis et pensés comme les choix d'un écrivain, phrases denses ou pas, type de mots, fréquence des adverbes, alinéas, parenthèses, chapitres continuant le sens du récit ou le contrariant, etc. En écriture c'est le style. Au cinéma, le style, c'est la cinécriture ».
Courts-métrages
Le véritable talent d'Agnès, c'est dans les films courts qu'elle tourne qu'il faut aller le chercher. Dans les courts-métrages de 1957-58 (Ô saisons, ô châteaux ; Opéra-Mouffe ; Du côté de la côte), dans certaines interventions militantes, dans les essais sur une rue parisienne (Daguerréotypes) ou sur les murs peints de Los Angeles (Murs murs), ou dans les films-billets (Une minute pour une image) qu'elle produit en 1982-83 pour la télévision. Ces oeuvres associent un sens aigu de l'image à l'intervention directe de l'auteur. Ulysse, qu'elle signe en 1983 est dans cet ordre d'idée une réussite : à partir d'une vieille photographie retrouvée, elle conduit une enquête sur le temps, l'histoire, les significations du document. Un film court sensible, humoristique et intelligent.
Nouvelle vague ?
Au début des années 60, après plusieurs expériences dans le domaine du court-métrage documentaire, la réalisatrice revient à la fiction avec Cléo de 5 à 7, déambulation dans Paris aux côtés de Cléo, une jeune femme attendant des résultats médicaux. Sa manière de filmer les difficultés de vie quotidienne en parallèle avec la fiction rappelle le néoréalisme et s’inscrit dans la mutation profonde qui s’opère au même moment dans le cinéma français. C’est l’effet Nouvelle vague, la volonté de rompre avec l’académisme et d’emporter le cinéma dans la rue. Agnès Varda se retrouve en sélection officielle à Cannes en 1962, reçoit le Prix Méliès et connait un véritable succès public. Sans l’avoir forcément voulu, elle devient une figure pionnière de la Nouvelle Vague. Toutefois, quarante ans plus tard, elle ne s’érige pas franchement en gardienne du Mythe, rappelant qu’il s’agissait avant tout d’un mouvement d’ensemble, À bout de souffle de Godard ayant été sensiblement tourné à la même époque que Cléo, et produit par la même personne, Georges de Beauregard.
Amour
Agnès Varda rencontre le réalisateur Jacques Demy, son futur époux, à Sète. Ils sont les parents de l'acteur Mathieu Demy. Elle est la mère de Rosalie Varda, costumière de cinéma, dont le père biologique est Antoine Bourseiller et Jacques Demy le père adoptif.
Palme d'Or en 1964 pour la comédie (en)chantée Les parapluies de Cherbourg (en 1964), Jacques Demy n'eut de cesse d'explorer des liens très personnels entre esthétique et narration, et la simple évocation d'un film comme Les demoiselles de Rochefort font monter le sourire aux lèvres de bien des spectateurs aujourd'hui encore, dans le monde entier.
Infatigable raconteuse de ce travail d'orfèvre, Agnès Varda a réalisé des documentaires rétrospectifs qu'elle lui consacra, de Jacquot de Nantes en 1991 (son enfance, son adolescence sous l'occupation allemande, puis ses premiers élans vers le cinéma et le théâtre), à Les demoiselles ont eu 25 ans (1993), où elle retrouve les témoignages de ceux qui travaillèrent avec lui sur ce film, ou encore avec L'univers de Jacques Demy (1995), montage plus sensible et libre de tout son héritage humain et artistique.
Eclectisme
Son éclectisme s’égraine au fur et à mesure de sa filmographie. Avec Le bonheur en 1965, elle reçoit le prix Louis Delluc et un Ours d’argent à Berlin. L’année suivante, elle filme une histoire d'amour entre Catherine Deneuve et Michel Piccoli à Noirmoutier-en-L'Isle (Les créatures). Puis c’est un documentaire collectif avec William Klein, Jean-Luc Godard, Chris Marker, Claude Lelouch, Joris Ivens et Alain Resnais, Loin du Viêt Nam. S’en suit une période américaine où elle tourne notamment Lions love, inspiré du mouvement hippie. A Los Angeles, dont elle tombe amoureuse, elle fréquente Andy Warhol et Jim Morrison. Puis revient à Paris où elle part à la rencontre de ses voisins de quartier (Daguerréotypes en 1975).
Engagement
Qu’il s’agisse du mode de vie de la rue Daguerre (où elle s’est établie depuis les années 50) ou de la condition de la femme (L’une chante, l’autre pas), Agnès Varda tient à se faire le témoin de son époque, voire à s’engager pour des causes qui lui tiennent à cœur. En 1971, elle signe ainsi le Manifeste des 343 salopes réclamant la légalisation de l’avortement. En 1985, elle s’intéresse aux sans-logis dans Sans toit ni loi qui révèle Sandrine Bonnaire et remporte le Lion d’or à Venise. Plus de dix ans plus tard, elle s’attaque à sa manière à la société de consommation avec Les glaneurs et la glaneuse, un documentaire sur les as de la récupération, ces glaneurs modernes qui ramassent la nourriture ou les objets dont les autres ne veulent plus.
Chroniques télévisées
En décembre 2011, elle a diffusé sur Arte une mini série télévisée intitulée Agnès de ci de là Varda : la série se compose des chroniques des explorations tous azimuts et continents d'Agnès Varda de 2008 à 2011. À pied, en métro, en voiture, en avion ou en bateau, Agnès Varda capte avec sa caméra tous les frémissements et bouillonnements du quotidien artistique, artisanal, sportif, traditionnel ou festif de l'Europe aux Amériques.
Incontournable & inclassable
Depuis le début des années 2000, Agnès Varda fait l’objet d’honneurs successifs : César d'honneur pour l'ensemble de sa carrière en 2001, prix René Clair de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre en 2002, hommage à la Cinémathèque québécoise en 2005… Elle a également été membre du jury à Cannes (la rumeur veut d’ailleurs qu’elle ait influé sur la décision finale couronnant pour la deuxième fois les frères Dardenne avec L’enfant) et s’était vu confier, au milieu des années 90, le film du Centenaire du cinéma (Les cent et une nuits). Incontournable et indéboulonnable, elle fait incontestablement partie des cinéastes-doyens du cinéma français. Pourtant elle ne semble pas prête à se contenter de ce statut honorifique. A 84 ans, elle vit avec son temps, tournant en numérique et réalisant de multiples suppléments pour les sorties DVD de ses films. Elle a également travaillé sur une intégrale Demy… Et elle est toujours là, avec son éternelle coupe au bol, son humour, son regard pétillant, et ses films inclassables. Les plages d’Agnès, son dernier long métrage, est l’œuvre d’une grande dame du cinéma, mais de celles sur qui l’âge n’a pas de prise, et qui avait tellement d’avance sur son époque qu’elle n’est pas près d’être démodée.
Ses principaux films disponibles à la médiathèque
Cléo de 5 à 7 (1961)
Cléo, belle et chanteuse, attend les résultats d'une analyse médicale. Chez elle ou dans les rues de Paris, elle vit sa peur filmée en temps réel. Son amant, son musicien, une amie puis un soldat lui ouvrent les yeux sur le monde...
Le Bonheur (1964)
Un menuisier aime sa femme, ses enfants et la nature. Puis il rencontre une autre femme, une postière, qui ajoute du bonheur à son bonheur. Toujours très amoureux de sa femme, il ne veut pas se priver, ni se cacher, ni mentir. Un jour de pique-nique en Ile-de-France, tout n'est pas si simple...
Sans toit ni loi (1985)
Une jeune fille vagabonde est trouvée dans un fossé, morte de froid : c'est un fait d'hiver. Que pouvait-on savoir d'elle et comment ont réagi ceux qu'elle a croisés sur sa route, dans le sud de la France, cet hiver-là : un autre routard, une domestique, un berger philosophe, un tailleur de vignes tinusien, une platanologue, un garagiste et une vieille dame...
Jacquot de Nantes (1990)
Il était une fois un garçon élevé dans un garage où tout le monde aimait chanter. Puis il a voulu faire du cinéma mais son père lui a fait étudier la mécanique... C'est de Jacques Demy qu' il s'agit, et de ses souvenirs.
Les glaneurs et la glaneuse ; Deux ans après (1995 - 1997)
Un peu partout en France, Agnès a rencontré des glaneurs et glaneuses, récupérateurs, ramasseurs et trouvailleurs. Par nécessité, hasard ou choix, ils sont en contact avec les restes des autres. Leur univers est surprenant.
Les plages d'Agnès (2009)
Agnès Varda, cinéaste qui fût photographe et qui est artiste, nous raconte ses 80 ans de plage en plage dans un autobiodocumentaire ludique. Elle est romanesque avec Jacques Demy, autoritaire avec ses techniciens, comique en costume de patate. La cinéaste est une conteuse qui nous fait partager les images et les émotions d'une vie.
Varda tous courts (1957 - 2004)
Comme on aime lire des nouvelles, certains amateurs aiment les courts métrages. Ceux-ci sont présentés par Agnès Varda, qui nous en décrit l'origine et nous raconte quelques anecdotes.
Contient : Ô saisons, ô châteaux. 1957. (21 min). - Plaisir d'amour en Iran. 1976. (6 min). - Du côté de la côte. 1958. (26 min). - Ydessa, les ours et etc. 2004. (43 min). - Ulysse. 1982. (21 min). - Salut les cubains. 1962-1963. (28 min). - 7 P., cui., s. de b. 1984. (27 min). - Oncle Yanco. 1967. (18 min). - Black Panthers. 1968. (27 min). - Réponse de femmes. 1975. (8 min). - Les dites cariatides. 1984. (12 min). - L'Opéra-Mouffe. 1958. (16 min). - Elsa la rose. 1965. (20 min). - Le lion volatil. 2003. (11 min). - T'as de beaux escaliers, tu sais. 1986. (3 min). - Les fiancés du Pont Mac Donald. 1961. (5 min).