Chris Marker : Portrait du plus célèbre des cinéastes inconnus

Le réalisateur Chris Marker s'est éteint le 29 juillet 2012 à l'âge de 91 ans. Cet homme secret qui a toujours évité les interviews, fui les appareils photo et caméra des autres, ne se sentait pas artiste, mais un simple bricoleur de l'image.

« J'aurai passé ma vie à m'interroger sur la fonction du souvenir, qui n'est pas le contraire de l'oubli, plutôt son envers.
On ne se souvient pas, on récrit la mémoire comme on récrit l'histoire.
Comment se souvenir de la soif ? »

Chris Marker, Sans soleil

chris marker

De son vrai nom Christian-François Bouche-Villeneuve, né à Neuilly-sur-Seine le 29 juillet 1921, il avait débuté sa carrière au cinéma en sillonnant le globe pour l'Unesco à des fins éducatives. Jeune romancier de talent, il fut également essayiste (on lui doit une étude sur Giraudoux) et créa la collection Petite Planète qui bouleversa le rapport texte-image tel qu'on le concevait dans l'édition : la mise en page s'inspirait du montage cinématographique.

Chris Marker est venu au cinéma par la littérature. Son livre Coréennes, recueil de photos, annonçait déjà sa future conception du court métrage. Il fut l'un des artisans de la renaissance du court métrage qui devint, dès 1950, son mode d'expression privilégié. Resnais, avec lequel il réalisa son premier film, dit de lui :

« Il me paraît un personnage fascinant, à ma connaissance unique au monde. Je ne connais personne qui puisse avoir à la fois ce sens des problèmes politiques contemporains, ce goût du beau, cette espèce de joie devant la culture et devant l'art, cet humour, et qui arrive, lorsqu'il fait un film, à ne se séparer d'aucune de ces tendances. »

Image et Son, avril-mai 63

Solitaire, grand voyageur, attentif à l'évolution des idées, des hommes et du monde, Chris Marker a multiplié les activités cinématographiques et donna tout au long de sa vie l'image d'un insatiable touche-à-tout, collaborant entre autres avec des personnalités diverses telles qu'Yves Montand, Alain Resnais, Jorge Semprun, William Klein, Agnès Varda ou encore Akira Kurosawa. De la photographie au cinéma, en passant par la vidéo, la télévision, internet et l'art numérique, il a exploré méthodiquement, les innovations qui ont bouleversé et perpétué l'art des images.

Ses films les plus connus du grand public : La jetée, Sans soleil, Le joli mai, ou encore Le fond de l'air est rouge, sont définis dès le départ par André Bazin comme des essais cinématographiques.

Cinéaste engagé, il avait accompagné des mouvements sociaux et chroniqué les bouleversements du siècle, tournant à Cuba après la révolution, s'engageant dans la foulée de mai 68, dans une aventure collective et militante, le groupe Iskra, avant de revenir à la création individuelle.

En 2011, Chris Marker, avait été la tête d’affiche des Rencontres d’Arles. La 42e édition avait présenté plus de 300 oeuvres photographiques, ainsi que sa dernière série réalisée dans le métro parisien, Passagers (2008-2010).

Chris Marker s’est attaché en soixante années de travail à observer avec une curiosité, un discernement méticuleux, une ironie caustique et souvent amusée, voire avec colère, les vicissitudes de l’histoire mondiale tout autant qu’individuelle. Au centre de sa réflexion figurent la mémoire, le souvenir, la nostalgie du temps passé réinventé mais à jamais disparu.

Les films disponibles à la médiathèque

jeteeLa jetée

1962

Ce court métrage réalisé en 1962 valut à son auteur une renommée internationale. L'action de ce « photo-roman » se situe à Paris, après la Troisième Guerre mondiale et la destruction de la Terre. Des scientifiques réfugiés sous terre cherchent à établir un couloir temporel pour permettre aux hommes du futur de changer d'époque. Un cobaye est choisi en raison de sa très bonne mémoire visuelle. Terry Gilliam s'inspirera de ce film pour L'armée des douze singes.

si j avais quatre dromadairesSi j'avais quatre dromadaires

1967

« Avec ses quatre dromadaires Don Pedro d'Alfaroubeira courut le monde et l'admira. Il fit ce que je voudrais faire si j'avais quatre dromadaires. » Un photographe amateur et deux de ses amis commentent des images prises un peu partout dans le monde. Ce film est entièrement composé au banc-titre, à partir de photos fixes prises dans vingt-six pays entre 1955 et 1965.

a bientot j espereÀ bientôt, j'espère

1968

En mars 1967 à Besançon,une grève sans précédent éclata à la Rhodiacetta, usine de textiles dépendant du trust Rhone-Poulenc. Cette grève a favorisé la réflexion des travailleurs sur leur identité et sur la nature de leur lutte. Un avant-goût des grandes luttes de 1968. Les films suivants témoignent de l'existence de ces mêmes préoccupations chez les ouvriers et ouvrières d'autres usines de la région, les années suivantes. Le Traîneau échelle est la création cinématographique d'un de ces ouvriers, en 1971.

fond de l air est rougeLe fond de l'air est rouge

1977

Immense fresque des événements révolutionnaires de la décennie 1967-1977, composée d'éléments filmés d'origines multiples (extraits de films, émissions de télévision, chutes de films, coupes de censure...) par laquelle Chris Marker nous livre sa propre réflexion sur l'histoire récente.

sans soleilSans soleil

1982

Le réalisateur incarne un cameraman fictif, Sandor Krasna, rédacteur de lettres lues tout au long du film par Florence Delay. Dans ses écrits, il va traiter successivement du temps, de la mémoire, de la fragilité humaine face aux séismes du Japon ou encore face à la famine, menace constante au Cap Vert ou en Guinée-Bissau. Le cinéaste voyage alors aux « deux pôles extrêmes de la survie » tel qu'il le dit lui-même. Il montrera non pas les difficultés pour ces sociétés à s'en sortir, mais plutôt leur façon de vivre et d'exister au-delà de ce qui peut leur coûter la vie. Car comme il l'annonce : « Moi, ce que je veux vous montrer, ce sont les fêtes de quartier ».

akAK

1985

En 1984, Akira Kurosawa a investi les pentes de Mont Fuji pour tourner Ran, transposition dans le moyen âge japonais du Roi Lear de Shakespeare. Chris Marker l'a suivi pour en tirer AK, entre journal de tournage et portrait.

tombeau d alexandreLe tombeau d'Alexandre

1993

C'est en hommage au cinéaste Alexandre Ivanovitch Medvedkine, mort en 1989, que Chris Marker écrit six lettres, un tombeau au sens littéraire du terme, au fil desquelles apparaît la personnalité attachante de l'auteur du Bonheur, inventeur du ciné-train et pionnier de l'art cinématographique en Russie soviétique.

chats perchesChats perchés

2005

« Peu de temps après le choc de septembre 2001, voilà qu'apparaissent, sur les toits de Paris, des Chats. Par un graphisme simple et parfaitement maîtrisé, qui tranche sur la virtuosité quelquefois embrouillée des tags, ils affichent un large sourire....C'est en suivant la piste des Chats souriants que ce film s'est construit, allant de surprise en surprise, suivant la trame des événements politiques nationaux et internationaux. »

Chris Marker

Le film dure 59 minutes. Il est suivi d'un bestiaire de quelques animaux remarquables glanés par Chris Marker au cours de ses voyages.

Les livres disponibles à la Médiathèque

livre chris marker1Chris Marker

par Bamchade Pourvali

Chris Marker n'est pas un cinéaste au sens courant du terme.

Il est aussi un étonnant voyageur, un photographe et un écrivain, un artiste vidéo et un concepteur de CD-rom. Il n'en est pas moins l'une des figures qui ont marqué le cinéma de la deuxième moitié du XXe siècle.

livre chris marker2Chris Marker

Images documentaires n°15 (4e trimestre 1993)

Nous n'aurions pas pu décrire cette oeuvre immense sur laquelle il a déjà été beaucoup écrit, dans différentes revues, mais nous avons voulu proposer une approche subjective, à partir de quelques films, car c'est à notre sens la meilleure manière de faire découvrir et aimer une oeuvre vivante.

Catherine Blangonnet

livre giraudouxGiraudoux

par Chris Marker

sources : Le Monde, Les Inrockuptibles, Cinéclub de Caen,Télérama, Wikipédia