En un siècle, le cinéma a souvent raconté les horreurs de la Grande Guerre. Héroïques ou pacifistes, les films ont évolué dans le temps : il n'existe pas une mémoire de la Grande Guerre mais bien des mémoires qui se sont succédées au fil des époques.
En un siècle, le cinéma a très souvent reproduit et raconté les horreurs de la Grande Guerre. De la figure du soldat héroïque à la critique pacifiste, réalistes et pleins d’émotion, les films ont évolué dans le temps : il n'existe pas une mémoire de la Grande Guerre mais bien des mémoires qui se sont succédées au fil des époques.
Voici une sélection de chefs-d’œuvre disponibles à la médiathèque présentée chronologiquement.
Sommaire :
- Un cinéma héroïque et patriotique (1914-1918)
- De la commémoration au pacifisme (1919-1939)
- Une représentation porteuse de contestation (1947-1989)
- La Grande Guerre dans la mémoire européenne (de 1990 à nos jours)
- En guise de conclusion...
Un cinéma héroïque et patriotique (1914-1918)
Cette période est fondamentale pour l'histoire du cinéma – période pendant laquelle le cinéma français va être dépassé par le cinéma américain fondé sur une mise en scène spectaculaire et un certain dynamisme. L'Amérique produit très tôt des films sur la guerre, d'abord pour la dénoncer et défendre la neutralité puis, à partir de 1917, pour justifier et appuyer idéologiquement son entrée dans le conflit. Par ailleurs l'époque voit émerger une nouvelle génération de cinéastes français de talent comme Abel Gance ou encore Marcel L'herbier. Entre 1914 et 1918, la guerre est représentée sous diverses formes : par de simples bandes d'actualités, des productions documentaires, des films cocardiers et patriotiques, mais aussi des films comiques. Deux titres incontournables filmés durant le conflit sont disponibles à la médiathèque :
J'accuse
de Abel Gance (France, 1918)
Un film-monument qui rompt avec le discours dominant de type va-t-en-guerre , mais n'échappe pas au sentiment d'appartenance à la communauté nationale qu'il importe de sauver. Une œuvre profondément enracinée dans son temps, qui mêle le mythe et le réalisme, l'humanisme et le nationalisme, les ferveurs religieuses et patriotiques. Une nouvelle version a été réalisée par Abel Gance en 1937.
Charlot soldat
de Charlie Chaplin (Etats-Unis, 1918)
Parmi les films américains de l'époque, Shoulder Arms figure comme un cas atypique avec son humour photogénique fondé sur une certaine gestuelle du corps de l'acteur et une économie de moyens. Un film satirique qui, en alliant le comique au tragique de la guerre, en offre une vision pleine de vérité.
De la commémoration au pacifisme (1919-1939)
La période de l'entre-deux guerres tente de représenter la Grande Guerre de façon plus réaliste et juste. La production de guerre étant considérée à postériori comme déformée par un souci de légitimation, les films réalisés après la guerre tenteront au contraire de la dénoncer. Le risque d'une nouvelle guerre approchant, les films pacifiques voire pacifistes, se multiplient dans les années 30. On passe donc d'une acceptation collective du sacrifice à une forme de condamnation de la guerre considérée comme un mal absolu dont il faut se préserver pour toujours.
Si le cinéma français se désintéresse relativement de la guerre au sortir du conflit, c'est le cinéma américain qui produira le plus de films sur le sujet : notons entre autres le succès de La grande parade de King Vidor qui évoque la question du trauma, du retour et de la réinsertion dans la vie civile ; ou encore À l'ouest rien de nouveau, l'un des premier grands films parlants sur la guerre. Plus tard, la France voudra se réapproprier le conflit en proposant des films majeurs tels que Verdun, visions d'histoire, considéré comme une réponse de Léon Poirier au cinéma américain, ou La Grande illusion, exemple emblématique d'une tentative de rapprochement des peuples.
La grande parade
de King Vidor (Etats-Unis, 1925)
Pendant la Grande Guerre, un jeune Américain de la haute société s’engage. Sur le terrain, il tombe amoureux d’une jolie fermière française… Si l'histoire sentimentale est assez puérile, le récit structuré de manière originale s'apparente progressivement à une descente aux enfers. Le film, impressionnant de par sa maîtrise cinématographique, battra tous les records de recettes aux Etats-unis avant sa sortie en France.
À l'ouest rien de nouveau
de Lewis Milestone (Etats-Unis, 1930)
Les élèves d'un lycée allemand décident de s'enrôler volontairement pour répondre aux harangues patriotiques de leur professeur. Bien vite, ils se rendent compte qu'il n'y a pas que de bons côtés à la guerre. Film interdit une semaine après sa sortie pour cause de tentative de destruction de l'image de l'Allemagne.
Verdun, souvenirs d'histoire
de Léon Poirier (France, 1931)
Version sonorisée du film Verdun, visions d'histoire (1928). Film épique, mais aussi message d'éducation civique relayant la pensée des anciens combattants. Il s'agit en effet de fixer dans l'imaginaire des plus jeunes une représentation fidèle de la guerre pour les aider à mieux la condamner. Une fiction qui a toutes les apparences du cinéma documentaire, les personnages étant d'anciens combattants qui vont jouer leur propre rôle.
La Grande illusion
de Jean Renoir (France, 1937)
Les aventures d'un groupe d'officiers français dans des camps de prisonniers en Allemagne. Malgré la guerre et leurs origines sociales différentes, ils mènent une existence harmonieuse. Renoir veut démontrer que les antagonismes de classes sont aussi forts que ceux qui opposent les nations, même si in fine, l'Union sacrée est bien réelle.
Une représentation porteuse de contestation (1947-1989)
Après la violence paroxysmique de la Seconde Guerre mondiale, l'horreur de la Shoah, la référence à la Grande Guerre devient moins évidente. Les révoltes des colonies pour l'indépendance contribuent au développement d'un nouveau cinéma pacifiste. Souvent, pour des raisons de censure, l'évocation de la Première Guerre mondiale servira de prétexte à dénoncer la violence de la guerre en général, et évoquer des situations d'actualité embarrassantes. C'est moins l'évocation de la Grande Guerre qui intéresse Stanley Kubrick dans Les sentiers de la gloire que le souci de révéler les abus de l'autorité militaire en temps de guerre. Ce film ouvrira la voie : des films subversifs et critiques de la même veine tels que Pour l'exemple de Joseph Losey ou Johnny s'en va-t-en guerre vont à leur tour être porteurs de contestation.
Les sentiers de la gloire
de Stanley Kubrick (Etats-Unis, 1957)
Rarement, un film aura ouvert avec une telle efficacité la voie de la transgression : ce film qui évoque la question des fusillés pour l'exemple est aussi un contrepoids aux idées américaines dominantes de l'époque, dénonçant tour à tour l'anti-intellectualisme, l'autosatisfaction, la paranoïa, le conformisme niveleur de l'ère McCarthy/Eisenhower. Cela explique l'intransigeance de la censure et les débats houleux autour de sa brève diffusion en 1957.
Pour l'exemple
de Joseph Losey (Grande Bretagne, 1964)
En 1917, un jeune soldat engagé volontairement est jugé pour désertion… Un huis clos austère et dépouillé, proche de la tragédie classique, avec unité de temps et de lieu. Ce film démontre que la guerre radicalise les rapports sociaux et pousse à l'abjection tous ceux qui y participent. L'innocence infantile du héro qui déserte presque par hasard a suscité quelques critiques.
Johnny s'en va-t'en-guerre
de Dalton Trumbo (Etats-Unis, 1971)
Unique film de Dalton Trumbo (victime de la chasse aux sorcières maccarthyste à Hollywood en 47), c'est une sorte de cri implacable qui ébranle les consciences. Ici, la dénonciation de la violence du premier conflit mondial, et de tous les carnages des temps modernes (Guerre du Vietnam) ne consiste pas à montrer la bataille, mais passe par un homme affreusement mutilé, réduit à l'état d'homme tronc. D'une certaine façon, le corps individuel souffrant devient l'expression du corps collectif.
La Grande Guerre dans la mémoire européenne (de 1990 à nos jours)
Au moment où s'achève le XXe siècle, alors que la Grande Guerre s'éloigne inexorablement, la demande de mémoire s'est encore accentuée. Deux raisons expliquent cette recrudescence de films sur le thème : d'une part l'historiographie qui se renouvelle considérablement dans les années 90, d'autre part du fait du retour en Europe de la guerre avec l'effondrement du régime communiste et la dislocation de l'ex-Yougoslavie.
Les films réalisés durant cette période interrogent l' Europe et sa capacité à résoudre les conflits, ils abordent la guerre sous l'angle de l'individu soumis au traumatisme de la guerre. La chambre des officiers évoque les gueules cassées, Les fragments d'Antonin l'impossibilité pour certains êtres humains de se reconstruire mentalement. Par ailleurs d'autres films comme Capitaine Conan aborderont la guerre du point de vue du front d'Orient, sujet moins connu du public. Contrairement aux films précédents axés sur la victimisation des individus, il évoque au contraire ce que les historiens appellent le processus de brutalisation.
Capitaine Conan
de Bertrand Tavernier (France, 1996)
1918, sur le front des Balkans. Le capitaine Conan, un rustre intrépide que tous admirent pour sa fougue, conduit une poignée d'hommes à l'assaut des avant-postes bulgares, qu'il s'agit de combattre à l'arme blanche. Pour l'armée d'Orient, la guerre de 14-18, ce fut plutôt 14-19 : après l'armistice, celle-ci n'est pas démobilisée. Tavernier accuse, il est le premier cinéaste à montrer crûment la régression humaine ayant eu lieu en 14-18.
La chambre des officiers
de François Dupeyron (France, 2001)
Ce film consacré aux blessés de la face, les fameuses « gueules cassées », analyse l'impact psychologique de la défiguration et les modifications du comportement de ces oubliés de l'histoire : Adrien, personnage infantilisé dont la régénération s'apparente à une (re)naissance, symbolise la perte de confiance dans la génération qui a précédé et l'expression de l'incertitude quant à l'avenir ressentie par la jeunesse dans la société contemporaine en cette période de morosité économique.
Un long dimanche de fiançailles
de Jean-Pierre Jeunet (France, 2004)
La quête effrénée d'une femme pour retrouver son amant. Ce film apparaît comme un amoncellement d'images esthétisées, composées avec une abondance d'informations, de signes, de références. Il est l'archétype du film hanté par l'idée du passé, un passé compulsivement visité et revisité.
Joyeux Noël
de Christian Carion (France, 2005)
L'intrigue est construite autour d'une série de fraternisations sur le front les 24 et 25 décembre 1914. Ce film a remporté un gros succès public.
Les fragments d'Antonin
de Gabriel Le Bomin (France, 2006)
Antonin est condamné à revivre sans cesse son passé de combattant, ses fautes et ses peurs, comme un cauchemar en boucle, mais sans pouvoir l'exprimer. Un film plein de sensibilité qui repose sur l'attention portée à la souffrance et la folie.
La France
de Serge Bozon (France, 2007)
Une femme décide de se travestir pour rejoindre son fiancé sur le front en 1917. Ce film un peu décalé, aux allures de fable abstraite, peut dérouter : les schémas préétablis sont inversés, les repères sont brouillés, l'invisible y est l'enjeu essentiel. En laissant planer l'ombre de la guerre comme un mystère, le réalisateur nous dit combien elle est encore présente parmi nous. Un film elliptique et complexe ouvert à tous les vents de la signification.
En guise de conclusion...
Si l'on sait qu'un film historique n'est pas le reflet réaliste de l'évènement qu'il représente, le cas de la Grande Guerre le prouve totalement. Sa représentation, qui a considérablement évolué, reste irréductible aux récits qu'on en donne, quels qu'ils soient. Dans tous les films s'expriment des styles et des points de vue différents, des engagements, des controverses, parfois des contestations qui n'ont pas toujours un lien direct avec la vérité historique. Gageons que ces films sauront vous éclairer, vous faire réfléchir et vous surprendre.
Source : La Grande Guerre au cinéma de Laurent Veray
Pour élargir le sujet :
- Dossier Mettre en case 14-18