Si les femmes enquêtrices ont su trouver une place dans la littérature policière, elles ne sont généralement pas au premier plan au cinéma. Et si elles apparaissent parfois, c’est souvent pour jouer le rôle de femme fatale, de victime, ou encore de faire-valoir dans l’ombre des hommes.
Tentons de dénicher dans nos collections de DVD, les polars qui accordent une place aux détectives et enquêtrices. La médiathèque Équinoxe mène l’enquête...
Tendre poulet
de Philippe de Broca
France, 1977
Paris, années 1970. Lise Tanquerelle, commissaire de police, a la surprise de constater que le cyclomotoriste qu'elle vient de heurter avec sa voiture n'est autre qu'Antoine Lemercier, un ancien camarade de classe qu'elle n'a pas vu depuis vingt ans. Ces retrouvailles donnent lieu à un coup de foudre, mais Lise cache sa profession à Antoine, devenu professeur de grec et farouchement anti-police en ces années où la police n’est pas en odeur de sainteté. Parallèlement à cette romance naissante, Lise doit enquêter sur une série de meurtres bizarres : trois députés assassinés successivement, un poinçon planté dans le dos.
Une comédie policière fort bien menée où le tandem Girardot-Noiret opère à merveille. Si cette comédie policière résonne encore avec autant de fraîcheur, c’est parce qu’elle procède sans le moindre complexe à un retournement prodigieux des rôles : un intellectuel fleur bleue et une commissaire volubile et énergique.
Ce film a pour suite On a volé la cuisse de Jupiter (1980) dans lequel Lise et Antoine passent leur voyage de noces en Grèce.
Vivement dimanche !
de François Truffaut
France, 1983
Julien Vercel, qui dirige une agence immobilière, est soupçonné du meurtre de Massoulier, l'amant de sa femme. Les faits sont contre lui, d'autant que sa femme meurt assassinée à son domicile. Caché dans son agence, Julien Vercel laisse sa secrétaire, la brune Barbara Becker, mener l'enquête...
Ce film réalisé en noir et blanc, reprend d'une manière volontairement caricaturale les codes du film noir des années 1950, dans les dialogues, le scénario et le traitement de la lumière. La secrétaire interprétée par Fanny Ardent est une vraie héroïne du genre avec imper, talons hauts et regard préoccupé-frondeur. Elle va se révéler une détective hors-pair pour tenter de sortir d’affaire Julien Vercel dont elle est éprise. Entre passion et recherche d’indices, la personnalité de Barbara Hecker déjoue tous les archétypes et c’est brillant.
Le silence des agneaux
de Jonathan Demme
États-Unis, 1990
Un psychopathe, connu sous le nom de Buffalo Bill, sème la terreur en kidnappant et en assassinant des jeunes femmes. Clarice Starling, jeune agent du FBI, est chargée d'interroger un prisonnier, l'ex-psychiatre Hannibal Lecter, psychopathe redoutablement intelligent et porté sur le cannibalisme, Lecter est susceptible de leur fournir des indices concernant les actes du tueur ainsi que son portrait psychologique. Mais il n'accepte d'aider Clarice qu'en échange de détails et de secrets concernant la vie privée de la jeune femme. Entre eux s'établit un lien de fascination et de répulsion.
Clarice Starling, admirablement interprétée par Jodie Foster, farouche, déterminée, et en même temps très vulnérable, va mettre à rude épreuve son courage et sa logique pour retrouver le tueur. Son statut de femme-flic indépendante cache un passé traumatique que Lecter détecte tout de suite. Malgré la vitre qui les sépare et les rôles sociaux qui les opposent, ces deux êtres sont irrémédiablement liés.
Fargo
de Joël et Ethan Coen
États-Unis, 1995
Un vendeur de voitures d’occasion endetté fait enlever sa femme par deux petites frappes afin de toucher la rançon qui sera versée par son richissime beau-père. Mais le plan ne va pas résister longtemps à l’épreuve des faits et au flair d’une policière enceinte…
Sous ses faux airs de policière de seconde zone, avec son ventre arrondi par sept mois de grossesse et son ouchanka (le fameux bonnet nordique), le personnage culte campé par Frances McDormand apparaît comme l’un des plus authentiques du genre. Spontanée, cynique et amusante, Marge décèle le moindre détail susceptible d’incriminer, et ce, en un battement de cils. Si bien qu’avec elle, le plan de deux petites frappes cherchant à récupérer la rançon de leur beau-père nanti ne résiste pas longtemps aux investigations. Caustique à souhait et très "girl power".
Cette femme-là
de Guillaume Nicloux
France, 2003
Michèle Varin, commissaire de police, est une femme brisée par la mort de son fils. Elle est chargée d'enquêter sur le suicide d'une femme retrouvée pendue dans la forêt de Fontainebleau. Mais son passé douloureux la rattrape et la plonge entre cauchemar et réalité.
Le cafard contagieux de cette enquêtrice dépressive incarnée de façon inattendue par Josiane Balasko est la surprise et l'une des forces du film à l’atmosphère glaciale et oppressante. Un vrai film noir.
Le petit lieutenant
de Xavier Beauvois
France, 2005
À sa sortie de l'école de police, Antoine monte à Paris pour intégrer la 2e division de police judiciaire. Caroline Vaudieu, de retour dans le service après avoir vaincu son alcoolisme, choisit le petit lieutenant pour son groupe crim'. Vaudieu s'attache rapidement à ce jeune homme, de l'âge qu'aurait eu son fils disparu. Au cours d'une enquête ordinaire sur un meurtre de SDF, le «petit lieutenant» est poignardé par un suspect. Ses collègues, bouleversés, s'efforcent d'accélérer les recherches.
Nathalie Baye, d’une sobriété absolue, apporte une bouleversante humanité à son personnage de femme-flic au sein d’un commissariat parisien. Le cinéaste utilise son visage comme l'un des grands instruments plastiques du film. Les gros plans permettent à l'actrice de démontrer sa force d'expressivité à partir d'un visage invariable. Sans un sourire, sans un pincement, sans une vague de visage, l’intensité de son regard suffit… Un film réaliste et documenté.
Le crime est notre affaire
de Pascal Thomas
France, 2008
Bélisaire et Prudence Beresford se reposent dans le petit château qui domine le lac du Bourget. Bélisaire est heureux, mais Prudence s'ennuie, elle rêve d'une bonne fée qui les propulserait dans des aventures truffées de mystères. Cette bonne fée apparait sous les traits de sa tante Babette, témoin d'un meurtre de la fenêtre d'un train. Prudence part à la recherche du cadavre…
Pour résoudre l’énigme qui lui est posée, Prudence, interprétée par Catherine Frot, se fait engager comme cuisinière dans un inquiétant château, perdu dans les montagnes enneigées. Elle devra y faire preuve de tous ses talents domestiques, résister aux avances et aux intrigues d’une bien curieuse famille. C’est une détective d’un genre unique, qui procède à coup d’illuminations plutôt que de déductions. Elle forme avec son amant Bélisaire, interprété par Alain Dussolier, un duo savoureux. Une comédie policière adaptée d’Agatha Christie.
Millenium
de Niels Arden Oplev
Suède, 2009
Mikael Blomkvist, journaliste d'investigation pour "Millénium", est contraint de démissionner après avoir été condamné pour diffamation. Il accepte alors la proposition d’Henrik Vanger, un riche industriel : celui-ci aimerait qu'il enquête sur la mort présumée de sa nièce Harriet, qui a disparu sans laisser de traces quarante ans plus tôt, lors d'une réunion de famille. Mikael parvient à convaincre Lisbeth Salander, une hackeuse surdouée, de l'aider dans ses recherches. Ils s'installent sur l'île de la famille Vanger. Grâce à des vieilles photos et à des documents d'archives, ils parviennent peu à peu à reconstituer le jour de la disparition...
Ce film noir suédois adapté des romans de Stieg Larsson, présenté sous la forme d’une trilogie, est un polar incarné et glaçant. Lisbeth, interprétée par Noomi Rapace, femme frêle et associable au passé traumatique, est dotée d’une grande intelligence. C’est une brillante hackeuse en rébellion qui résiste activement contre les mécanismes qui rabaissent les femmes et contre les pires scénarios, où les femmes sont abusées par les hommes, comme cela lui est arrivé. Une icône féministe culte.
Bientôt, l’industrie du cinéma, littéralement conquise, lui donnera davantage de chair et l’imposera comme une figure majeure de la culture populaire. Lisbeth a été incarnée par trois actrices : Noomi Rapace dans la première trilogie suédoise, réalisée par Niels Oplev et Daniel Alfredson, Rooney Mara dans l’adaptation américaine de 2011 réalisée par David Fincher et plus récemment par Claire Foy dans l’adaptation cinématographique de 2018 de Ce qui ne me tue pas.
Room 514
de Sharon Bar-Ziv
Israël, 2012
Anna, enquêtrice dans l’armée israélienne, est une jeune femme idéaliste. Quand elle confronte un officier supérieur à des accusations de violence gratuite à l’encontre d’un Palestinien, sa propre intégrité et sa détermination sont mises à l’épreuve. Malgré la complexité politique de l’affaire et les mises en garde de ses collègues, elle prend clairement position contre ce qui ressemble à un abus de pouvoir. Mais sa quête de justice de plus en plus acharnée aura de lourdes conséquences pour toutes les personnes impliquées…
La focalisation sur Anna, le traitement nerveux des scènes de confrontation permettent de dessiner un tempérament intéressant : un personnage fort et plein d’humour. La vigueur, la tension qui parcourent le film sont celles de ce beau personnage principal : une jeune femme déterminée, sûre de bien agir mais qui finit par perdre pied. Une mise en scène habile représentant les interrogations morales et politiques de l’enquêtrice.
Tip top
de Serge Bozon
France, 2012
Esther et Sally, inspectrices de la police des polices, débarquent dans un commissariat de province pour enquêter sur la mort d’un indic d’origine algérienne. L’une tape, l’autre mate, tip top.
Dans ce film jusqu’au-boutiste qui bouscule les normes et enchaine les plans-claques, les personnages des enquêtrices ne peuvent être réduites à une catégorie psychologique. Leur jeu excentrique (Isabelle Huppert, en fonctionnaire psychorigide et Sandrine Kiberlain, en assistante mimétique un peu godiche), leur diction, leur gestuelle, confèrent au film une démarche comique et absurde qui chamboule nos habitudes de spectateurs. Une comédie policière grinçante qui porte haut sa folie et sa vitalité.
Polisse
de Maïwenn Le Besco
France, 2012
Le quotidien des policiers de la Brigade de Protection des Mineurs, ce sont les gardes à vue de pédophiles, les arrestations de pickpockets mineurs mais aussi la pause déjeuner où l’on se raconte ses problèmes de couple ; ce sont les auditions de parents maltraitants, les dépositions des enfants, les dérives de la sexualité chez les adolescents, mais aussi la solidarité entre collègues et les fous rires ; c’est savoir que le pire existe, et tenter de faire avec… Comment ces policiers parviennent-ils à trouver l’équilibre entre leurs vies privées et la réalité à laquelle ils sont confrontés, tous les jours ? Fred, l’écorché du groupe, aura du mal à supporter le regard de Melissa, mandatée par le ministère de l’intérieur pour réaliser un livre de photos sur cette brigade.
Marina Foïs, Karin Viard, Karole Rocher, Emmanuelle Bercot... jouent les rôles d’Iris, Nadine, Chris, Sue Ellen… Ces actrices, qui ont endossé le costume de flics aux côtés de JoeyStarr, Nicolas Duvauchelle et Jérémy Elkaïm, voient se succéder les affaires devant leurs bureaux de la Brigade de Protection des Mineurs. Au sein de cette « brigade des biberons », elles doivent se surpasser pour se faire une place à part entière parmi les hommes.
Top of the lake
de Jane Campion
Nouvelle Zélande, 2013
Tui, une jeune fille âgée de 12 ans et enceinte de 5 mois, disparaît après avoir été retrouvée dans les eaux gelées d'un lac du coin. Chargée de l'enquête, la détective Robin Griffin se heurte très rapidement à Matt Mitcham, le père de la jeune disparue qui se trouve être aussi un baron de la drogue mais aussi à G.J., une gourou agissant dans un camp pour femmes. Très délicate, l'affaire finit par avoir des incidences personnelles sur Robin Griffin, testant sans cesse ses limites et ses émotions...
Robin, interprétée avec brio par Elisabeth Moss, est une enquêtrice spécialisée dans la protection infantile. Peu expérimentée mais déterminée, elle doit mener son enquête dans un monde d’hommes, subissant moqueries de la part de ses subalternes et condescendance de ses supérieurs. Intimidée et harcelée par Matt, elle devra sans cesse opérer avec autorité, irrévérence et séduction.
The fall
de Jacob Verbruggen
Grande Bretagne, 2013
Elle est enquêtrice, méticuleuse, froide et autoritaire. Il est tueur en série, organisé, obsessionnel et sans pitié. Appelée en renfort par la police de Belfast, la détective Stella Gibson traque Paul Spector, un serial killer qui s'en prend à de jeunes femmes de la capitale nord-irlandaise. The Fall suit leurs trajectoires, celle de la chasseuse et celle de sa proie dans un face-à-face palpitant.
Gillian Anderson, actrice révélée par la série X-Files incarne une commissaire impassible, perspicace au look sobre et impeccable. La policière progresse dans l’enquête comme dans sa vie, sans trop se préoccuper des critiques. Elle mène d’une main de fer les hommes et femmes sous ses ordres, les invite parfois à partager une nuit avant de les congédier sans ménagement le matin. Une héroïne féministe moderne.
Sicario
de Denis Villeneuve
Canada, 2015
La zone frontalière entre les États-Unis et le Mexique est devenue un territoire de non-droit. Kate, une jeune recrue du FBI, y est enrôlée pour aider un groupe d’intervention d’élite dirigé par un agent du gouvernement dans la lutte contre le trafic de drogue. Menée par un consultant énigmatique, l'équipe se lance dans un périple clandestin, obligeant Kate à remettre en question ses convictions pour pouvoir survivre.
Kate, incarnée par Emilie Blunt, est idéaliste et volontaire. Divorcée et sans aucune vie de famille, elle ne vit que pour son travail. Sa vision du métier, loin de toute corruption, va alors être mise à mal par les implications louches de ses supérieurs et, surtout, du personnage d'Alejendro (Benicio del Toro) qui nourrit un flou artistique autour de sa personne. Dans un monde masculin où les codes qu’elle discerne sont dictés par un pouvoir invisible, Kate, malgré sa ténacité, se trouve réduite à sa stricte fragilité.
3 Billboards, les panneaux de la vengeance
de Martin McDonagh
États-Unis, 2017
Après des mois sans que l'enquête sur la mort de sa fille ait avancé, Mildred Hayes prend les choses en main, affichant un message controversé visant le très respecté chef de la police sur trois grands panneaux à l'entrée de leur ville. Entre les forces de l’ordre et Mildred, c’est le début d’une escalade incontrôlable…
Avec Mildred, Frances McDormand incarne un personnage habituellement réservé aux hommes, celui du héros solitaire qui défie toute une ville. Pour construire le personnage de Mildred, l’actrice s’est inspirée des icônes fondatrices de ce genre très masculin qu’est le western, en partie parce qu’elle n’a pu trouver que très peu d’exemples de femmes dans ces rôles. Elle n’’a cependant rien d’un bandit armé du vieil Ouest, c’est une simple mère de famille en quête de justice pour sa fille. L’actrice a fait de la force du chagrin de Mildred le moteur de sa performance. Un film novateur et à l’humour corrosif.
Depuis l’arrivée des femmes dans la police dans les années 70, le genre policier a évolué.
Si elles sont désormais plus nombreuses à endosser le rôle d’enquêtrices, elles incarnent encore bien souvent, malgré leur détermination et leur professionnalisme, des images de femmes fragiles ou idéalistes, malmenées dans un milieu majoritairement masculin.
Elles sont par contre bien présentes dans les comédies policières à énigmes (et souvent présentées en duo), la comédie policière, sous-genre du polar, permettant d’atténuer l’impact de ces personnages féminins forts que sont les enquêtrices.
En conclusion, si certains polars proposent désormais aux femmes des rôles d’enquêtrices intéressants, il reste encore du travail aux scénaristes pour leur accorder une place de choix, et sans forcer le trait.
Sources :
- Wikipedia
- AlloCiné
- Cinq enquêtrices de choc au cinéma par Alexandre Jourdain
- Les enquêtrices dans le film policier français des années 1970 et 1980 par Gwenaelle Le Gras
- critiques et dossiers de presse